Mieux comprendre l’autisme : Les troubles de la permanence émotionnelle

Cet article est une retranscription de cette vidéo :


Bonjour et bienvenue sur ma chaîne, c’est H Paradoxæ et aujourd’hui on se retrouve pour un nouvel épisode de Mieux comprendre l’autisme. Si c’est votre première arrivée sur cette chaîne, bienvenue, je m’appelle Alistair, je suis moi-même autiste, et dans cette série, j’essaye d’expliquer ce qu’est ou ce que peut être l’autisme.

Aujourd’hui je vais vous parler de permanence émotionnelle.

Evidemment je vais vous expliquer ce que c’est hein, pas de panique, mais avant ça j’aimerais faire un petit disclaimer. Comme très souvent, voire toujours dans cette série, je parle des traits qui sont courants chez les personnes autistes. Ca ne veut pas dire que toutes les personnes autistes vont forcément avoir ces traits et ça ne veut pas dire que seules les personnes autistes vont avoir ces traits.

En l’occurrence, les problèmes de permanence émotionnelle, c’est aussi très courant chez les personnes qui ont un stress post-traumatique et/ou des troubles de la personnalité borderline. J’ai essayé de faire quelques recherches pour savoir si c’était un truc qu’on retrouvait chez les personnes psychotiques, mais j’ai pas trouvé vraiment de ressources donc je ne peux pas vous dire. En tout cas vous pouvez retenir que plein de personnes handicapées psy vont avoir ce genre de difficultés et que ce n’est pas restreint à un ou plusieurs diagnostics.

Note : Depuis l’écriture de cette vidéo, j’ai appris qu’il s’agit de quelque chose de très courant chez les personnes avec un TDAH ! Il est même possible que ce soit plus lié à ça qu’à l’autisme, puisque la majorité des personnes autistes ont aussi un TDAH.

Et deuxième petite chose que je voulais dire avant de commencer : tout le monde n’appelle pas forcément ça la permanence émotionnelle. J’ai choisi ce terme-là parce qu’il me parle à moi (je vous expliquerai après pourquoi) et tout le monde ne conceptualise pas non plus ce dont je vais parler exactement de la même manière que moi. Je fais avec les mots qui font sens pour moi et avec la conceptualisation qui fait sens pour moi, mais je vais bien repréciser que le but de cette vidéo c’est pas de dire : « Voilà ce que c’est, c’est comme ça que ça marche, on en est sûr ».

Il s’agit plutôt de dire : « Voilà, j’ai constaté ça, chez moi, chez des personnes de mon entourage, et d’avoir compris ces deux-trois trucs là, ça m’a vraiment aidé à gérer mes émotions et mes relations un peu mieux donc ben je partage là où j’en suis » mais il faut vraiment prendre ce que je vais dire là comme un morceau de cheminement qui est sûrement incomplet et partiel.

Maintenant qu’on a dit tout ça, revenons à la question que tout le monde se pose : C’est quoi la permanence émotionnelle ?

Je vais d’abord vous parler du concept de permanence de l’objet qui est plus simple et plus connue. La permanence de l’objet, c’est ce qui fait que si je prends un objet, que je le mets dans une boîte et que je la ferme, vous savez que l’objet est dans la boîte même si vous ne le voyez plus. Et plus globalement, c’est le fait de savoir que les objets et les gens existent en dehors de nous et continuent d’exister même quand on ne les perçoit pas.

Vous l’aurez peut-être deviné, mais la permanence émotionnelle, c’est la même chose que la permanence de l’objet, avec les émotions. Nos émotions, ou celles des autres, ou les deux.

Concrètement, comment ça peut se manifester ?

Vis-à-vis de nos propres émotions, ça va notamment être avoir du mal à se souvenir que l’on peut être dans un autre état que celui dans lequel on est actuellement. Donc par exemple, avoir du mal à se souvenir des émotions qu’on a eues avant. Moi, si on me demande si j’étais heureux quand j’étais petit, ben… j’en ai aucune idée.

Mais ça peut aussi vraiment être sur le court terme. J’en avais parlé sur les questions de gestion de la douleur mais par exemple, moi, j’ai des douleurs chroniques, et il m’arrive souvent, dans les semaines où j’ai moins mal, de me dire qu’en fait je me suis trompé, je n’ai pas de douleur chronique, je n’ai jamais eu mal. Alors que pourtant matériellement, si, c’est évident, la semaine d’avant, je pouvais pas marcher à cause de la douleur, mais je n’arrive pas à me rappeler émotionnellement qu’à un moment de ma vie j’ai été dans un autre état que celui dans lequel je suis maintenant.

Évidemment pour la douleur c’est pas qu’une question de permanence émotionnelle, il y a aussi d’autres paramètres, notamment de protection et d’injonctions qui jouent sur tout ça, mais ça reste pour moi un exemple qui me parle. Mais ça peut tout à fait être avec n’importe quel autre sentiment ou n’importe quel état, par exemple, quand on n’est pas anxieux se dire qu’on n’a peut être jamais été anxieux ; quand on est heureux se dire qu’on a peut-être jamais été tristes, ou quand on est tristes se dire qu’on a peut-être jamais été heureux.

Et ça marche aussi pour le futur c’est-à-dire oublier qu’on ne sera pas toujours dans l’état dans lequel on est là tout de suite.

Et c’est émotionnel, mais c’est plus large que ça en fait. Genre là, j’écris cette vidéo pendant le confinement, ben j’ai l’impression d’avoir été en confinement toute ma vie et que je serai en confinement toute ma vie. Et c’est pas du tout parce que je me sens enfermé, que je suis désespéré face à l’avenir du monde ou que je m’ennuie fermement et que du coup je trouve le temps long : ça n’a rien à voir avec tout ça. C’est juste qu’en fait, ma capacité à me penser en tant que personne dans un environnement, avec des relations, avec des émotions, elle fonctionne comme ça. Et que j’ai beaucoup de mal à me souvenir ou à me projeter dans des états différents de mon état immédiat.

Et ça vaut aussi pour les émotions et les relations qu’on a avec les gens.

J’avais des amies quand j’étais enfant et c’est des gens que j’ai vus tous les jours à l’école, avec lesquels j’ai toujours joué, pendant une dizaine d’années donc c’est quand même pas rien. Et, un jour, on n’a plus été dans la même classe et on ne s’est plus jamais adressé la parole. Et même avant ça, quand on se voyait on était toujours ensemble, mais je les ai pour ainsi dire jamais vues pendant les vacances, même les vacances d’été en fait, je passais deux mois sans les voir et ça ne m’impactait pas vraiment. Et pourtant, je veux dire, elles habitaient pas loin, on habitait dans le même quartier, y avait 500 mètres.

Il a vraiment fallu que j’attende d’avoir 20 ans pour réussir à créer des relations qui n’existent pas que quand on se voit, et dans lesquelles on ne se voit pas juste parce que, ben, on se voit à l’école ou au travail par exemple.

Aujourd’hui j’ai appris à entretenir des relations et je me connais, je sais que si j’ai pas de nouvelles de quelqu’un je vais oublier ce que je ressens pour lui. Donc ben j’en prends, et les réseaux sociaux ça m’aide vraiment beaucoup pour ça parce que du coup, regarder mon fil d’actualité ça me permet d’avoir des nouvelles d’un peu tous mes amis sans avoir à penser activement : «Ah, il faut que je prenne des nouvelles de Machin » et en plus, sans avoir à engager des conversations à chaque fois pour avoir des nouvelles, ce qui est pas évident non plus. Donc la manière dont ma vie est structurée maintenant fait que ça m’impacte moins, mais au fond, je pense que mes difficultés de permanence émotionnelle sont toujours les mêmes aujourd’hui.

Et c’est vraiment important de se rendre compte que ce n’est pas une question de sincérité des émotions. Mes amis et mon copain je les adore, mais vraiment. Je suis capable de chialer rien qu’en pensant combien je les aime hein. Mais s’ils disparaissent trop longtemps de mon paysage émotionnel, je vais oublier ça, je le sais.

Après c’est aussi quelque chose qui, en tout cas chez moi, revient assez facilement. Des fois je commence à oublier ce que je ressens pour quelqu’un et je me dis : « Non mais en fait pourquoi est-ce qu’on est amis ? Pourquoi est-ce qu’on est amoureux ? » et puis on s’appelle et d’un coup je me dis : «Ah wow ok, c’est bon je me souviens, je suis hyper amoureux en fait ! »

Et pendant longtemps, je m’en suis voulu et j’ai pensé qu’en fait j’avais pas d’émotions au fond, que je faisais tout le temps semblant d’aimer les gens et que j’étais qu’un menteur. Et je me disais peut-être que j’avais fait semblant d’aimer les gens pendant tellement longtemps que je ne serais plus jamais capable d’aimer pour de vrai. Parce qu’on m’avait toujours dit que si tu aimes quelqu’un sincèrement eh ben tu vas pas l’oublier comme ça et que la personne elle va te manquer si elle est pas là, et c’est pas vrai pour moi.

Et maintenant que j’ai compris ça, je peux profiter de l’amour et de l’amitié de la manière dont je les ressens moi, de la manière dont je les vis moi, en organisant autour de mon fonctionnement à moi et pas juste de l’idée que je me fais de ce qu’on doit faire et de ce qu’on doit ressentir quand on est amis ou quand on est amoureux, et… ben ça fait vachement du bien.

Les difficultés de permanence émotionnelle, ça peut aussi toucher ce qu’on perçoit des émotions que les autres ressentent pour nous. Ça m’affecte un peu moins personnellement même si dans une moindre mesure.

Ça peut notamment passer par la difficulté à se souvenir que les gens nous apprécient même quand ils ne sont pas activement en train de le montrer, et d’oublier, quand on passe pas du temps avec la personne, que si, manifestement, elle nous apprécie. Et de se dire des choses comme : « Ben en fait aujourd’hui on ne s’est pas parlé et si ça se trouve elle ne m’a jamais aimé, je me suis trompé ».

Et du coup, d’avoir des difficultés à reconvoquer émotionnellement tout ce que la personne a fait ou dit parce que ben elle a de l’affection pour nous et que ça nous le prouve.

Évidemment, tout le monde peut avoir, dans une certaine mesure, ce genre de difficultés, notamment quand on a des émotions qui sont très fortes : par exemple, c’est normal des fois qu’on se sente très triste et que du coup on n’arrive pas à se souvenir qu’à un moment oui, ça va passer.

Mais il y a tout un tas de gens, comme moi et comme plein d’autres, pour qui c’est quelque chose de beaucoup plus quotidien. J’ai honnêtement aucune idée d’où ça vient, de comment ça se développe, si c’est quelque chose qui peut s’améliorer, s’aggraver ou pas.

Mais je pense que d’une manière plus générale, qu’on soit handicapé·e ou pas d’ailleurs, c’est vraiment important d’apprendre à comprendre comment on fonctionne émotionnellement et et dans nos relations pour pouvoir développer des relations qui sont saines et qui ne font pas du mal, ni à nous, ni aux autres. Et mieux on se comprend, mieux on peut s’organiser pour faire ça et je vous jure que c’est possible pour tout le monde, et que c’est vraiment gratifiant.

Je sais pas si cette vidéo est très claire, honnêtement ça me fait un peu peur de tourner ça parce que c’est un peu plus d’émotions et un peu plus d’intime que ce que je fais d’habitude, mais j’ai l’impression que c’est quelque chose dont on parle pas trop dans la communauté handi psy (ou alors je suis passé à côté, c’est possible aussi.) Du coup, j’avais envie d’ouvrir un peu le sujet en commençant par ce que j’ai constaté chez moi et dans mon entourage ; en espérant que ça aura pu éclairer deux-trois personnes.

Et si vous voulez partager vos témoignages et vos réflexions sur tout ça dans les commentaires, ce sera encore plus apprécié que d’habitude parce que vraiment, pour moi, l’objectif de cette vidéo, c’est de lancer un peu une bouteille à la mer en disant : « Hey, peut-être qu’on pourrait parler de ça, non ? »

Je vais m’arrêter là pour aujourd’hui, mais comme d’habitude, si cette vidéo vous a aidé·e, n’hésitez pas à lui laisser un pouce bleu et à la partager autour de vous ; et avant de partir pensez à passer sur Patreon, c’est le site sur lequel vous pouvez soutenir mon travail et cette chaîne. Et j’ai aussi une boutique sur laquelle il y a tout un tas de trucs, notamment un petit guide sur l’autisme pour les enfants et les ados.

Sur ce, je vous souhaite une bonne fin de journée et à dans deux semaines !

Annexes

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