TRANS MEN ARE TRASH ? | Transmasculinités, féminisme et patriarcat

Cet article est une retranscription de cette vidéo :


Les hommes trans sont-ils de gros cons misogynes ? En voilà une question intéressante sur laquelle internet a probablement réussi à avoir une conversation nuancée, complexe et intéressante. N’est-ce-pas ?

Bonjour et bienvenue sur ma chaîne, je m’appelle Alistair, je suis moi-même un homme trans, et ici je parle pas mal d’enjeux de transidentité, de genre et de masculinité, et honnêtement, maintenant que j’ai dit ça, ça m’étonne moi-même que j’ai pas fait cette vidéo plus tôt !

Mais il y a quelques temps, plusieurs personnes notamment sur Patreon m’ont envoyé une vidéo d’un autre homme trans, Léo, qui parle de ce sujet. De est-ce que « Les hommes trans sont des hommes. » ça implique qu’ils occupent la même place genrée dans la société que les autres hommes, et qu’ils sont conditionnés ou encouragés à être sexistes de la même manière que les autres.

Capure d'écran de la vidéo de Léo, un homme blanc avec des tatouages et une un T-shirt à fleur. Il dit : « Les hommes trans sont-ils des ordures comme les autres ? »

La vidéo est vraiment bien par plein d’aspect, mais a aussi des choses qui pour moi manquent donc j’avais envie d’apporter ma pierre à l’édifice, et nous voici.

Je vais commencer un peu par résumer ce qu’il dit dans sa vidéo pour qu’on ait tous le contexte de ce sur quoi j’ajoute des idées supplémentaires ou des contradictions mais je ne vais pas aller dans les détails parce que, bah, la vidéo existe déjà je vais pas la faire une deuxième fois. Donc je vous la mets dans le i et dans la description, et je vous encourage à aller la voir avant ou après cette vidéo si vous voulez.

Sur ce, c’est parti !

Partie 1 : Oui, les hommes trans sont des ordures

La question que pose Léo dans sa vidéo c’est : « Est-ce que les hommes trans devraient être inclus dans ‘Men are trash’ (: les hommes sont des ordures) ? »

Spoiler, la réponse, pour lui, c’est : oui, parce que ce sont des hommes.

Les hommes trans, par leurs transitions, viennent à occuper une place d’homme dans leur quotidien et dans la société, sont traités comme des hommes, vivent comme des hommes, et perçoivent donc le monde comme des hommes.

Et le fait d’avoir peut-être un jour vécu comme une femme dans le passé n’efface pas ça, de la même manière qu’avoir été enfant un jour n’empêche pas beaucoup d’adultes de déshumaniser et de maltraiter les enfants. Quand on sort d’une classe opprimée, on se détache petit à petit de ces souvenirs-là, ces violences cessent de prendre autant de place dans nos vies et donc on a la liberté de ne plus en avoir rien à faire si on n’ pas envie de faire des efforts pour.

C’est aussi ce dont je parlais dans ma dernière vidéo que je vous mets dans le i également. Il est faux de penser que les hommes trans sont des hommes qui vivent avec des souvenirs de femmes de la même manière que les femmes vivent avec des souvenirs de femmes. Transitionner impacte nos souvenirs, la manière dont on s’en souvient, les sentiments qu’on a pour, la place qu’il prennent dans nos vies, la manière dont on les reconvoque au quotidien, etc. Ce qu’on voit dans la vidéo de Léo et dans la mienne, c’est que notre transition nous a tous les deux amené à être moins impacté par nos souvenirs d’expériences « féminines » et plus impacté par nos souvenirs d’expériences « masculines » et que du coup nous agissons en conséquence.

La conclusion de sa vidéo, en gros, c’est que la propension des personnes et des groupes à commettre ou non des violences ne vient pas d’une valeur intrinsèque de type : « Les hommes sont misogynes par nature. » et « Les femmes sont innocentes et empathiques par nature. » mais bien du fait que, socialement, les hommes ont beaucoup plus la place de choisir d’être misogynes parce qu’on le leur permet, parce qu’on les y encourage dans certains cas, parce que ça ne va pas forcément les impacter négativement directement, et même parce que ça va les impacter positivement des fois.

Les hommes sont plus misogynes et violents que les femmes parce qu’ils ont plus la place et la permission de faire le choix d’être violent, et donc ils le font.

Mais les femmes ont aussi cette option-là, juste plus restreinte, et, Léo le note, on voit bien que celles qui ont le plus la place de choisir d’être misogyne le font. C’est le cas des grandes figures féminines d’extrême droite qui ne seront pas celles qui vont se casser le dos au travail domestique et qui ont la thune de s’éviter un mari donc elles ont beaucoup moins de raisons de se retenir d’imposer ça aux autres femmes parce que ce n’est pas sur elle que ça va retomber.

La violence est un choix, que l’on offre et que l’on encourage ou décourage plus ou moins chaque personne à faire suivant sa place dans la société.

Et en prenant une place d’homme dans la société, les hommes trans se voient offrir ces opportunités de violence, se voient offrir ces encouragements à la violence, se voit plus protégés des conséquences de cette violence, se voit plus bénéficier des conséquences de ces violences, et donc sont plus susceptibles de choisir de les commettre, tout simplement.

Ils peuvent choisir de ne pas le faire, comme tout le monde, mais cela requiert du travail et de la volonté parce que la société ne les pousse pas naturellement dans ce sens et que, non, leurs souvenirs de violences vécues avant leur transition dans une autre identité qu’ils ne vivent plus maintenant ne sont pas nécessairement suffisants du tout pour empêcher ça automatiquement. On voit bien que ce n’est déjà même pas le cas pour les femmes, donc vous imaginez pour les hommes.

Personnellement, je suis d’accord avec tout ça. Et je suis d’accord avec la conclusion que les hommes trans sont loin d’être exempts de misogynie, et que le simple fait d’être trans et d’avoir peut-être vécu comme une fille ou comme une femme dans le passé ne protège pas de ça. Et, oui, je pense que c’est important de le dire parce que croire le contraire, Léo l’explique bien dans sa vidéo aussi, ça encourage toujours à l’essentialisme. À croire que la violence et l’innocence sont des vertus intrinsèques à certains groupes et pas le résultat de notre place dans la société.

Et dans cet exemple précis, croire que les hommes trans sont plus ou moins exempts de misogynie du fait de leur présumé passé de femme va très souvent, d’une part avec le fait de ne pas réellement percevoir les hommes trans comme des hommes avec des vie d’hommes et d’autre part avec le fait de considérer que les femmes trans, elles, seraient conditionnées à la misogynie par leurs expériences de vie passées, ce qui est évidemment hyper transmisogyne, violent, et faux.

Maintenant qu’on a dit ça, j’ai deux/trois choses à rajouter quand même.

Partie 2 : Le passing

Dans sa vidéo, Léo à un moment note rapidement que tout ce qu’il dit là c’est lié à son expérience d’homme trans qui passe. C’est-à-dire, d’homme trans qui est généralement perçu comme un homme au quotidien.

Et ce que je comprends en tout cas moi de ce passage, c’est qu’il dit que les hommes trans qui ne passent pas, qui sont perçus comme des femmes au moins une partie du temps, vont avoir des expériences de femmes. Pas dans le sens où ce sont des femmes, mais dans le sens où ils vont être traités comme telles. Et du coup leur place dans la société est différente, qu’ils ne sont pas encouragés aux mêmes comportements, et que donc tout ce qu’on vient de dire au-dessus ne s’applique pas forcément à eux.

De prime abord, ça peut sembler logique. Si on te perçoit comme une femme, tu vis de la misogynie, et tu n’as pas forcément envie de la reproduire. Et tu n’as pas non plus autant l’opportunité de le faire que les hommes qui sont perçus comme tels.

Et bien sûr, pour une partie, c’est vrai.

Mais je pense que, dans ces discussions, on a trop tendance à oublier l’importance de l’identité et des narrations auxquelles on s’identifie.

J’aimerais bien faire une vidéo dédiée à ce sujet un jour parce qu’il y a plus de choses à dire que je peux pas faire rentrer dans celle-ci, mais, si on transitionne, c’est bien qu’on est capable d’identifier avant notre transition et encore plus avant un changement de passing potentiel, qu’on ne fait pas partie du groupe de genre auquel on a été assigné·e, ou qu’on ne veut pas en faire partie.

Et des mecs trans qui peuvent vous raconter des anecdotes de leur vie avant qu’ils sachent qu’ils soit trans où ils ont fait des choses spécifiquement pour être vu comme des « vrais mecs » ou gagner leur place dans un groupe de garçons, il y en a des tonnes. C’est ce dont je parlais entre autres dans ma dernière vidéo.

Quand à 15 ans avec absolument pas un passing de mec je me bourrais la gueule à la moindre occasion pour prouver que je pouvais* et je regardais du porno hétéro avec mes potes, j’avais beau ne pas passer et ne pas savoir que j’étais trans, j’étais quand même en train de faire le choix de performer des comportements de masculinité, dont des comportements misogynes, pour rentrer dans le groupe auquel je voulais appartenir, et auquel je me sentais appartenir. Sans avoir un passing d’homme, et sans me concevoir explicitement comme un homme non plus, je savais quand même ce qu’on demandait des hommes dans la société, et je voulais performer ça pour m’intégrer à ce groupe.

* Bien sûr, les addictions c’est plus compliqué que ça, mais les rôles de genre ont leur impact.

Cette expérience-là n’est pas du tout unique aux hommes trans.

Des femmes cis qui faisaient plus ou moins partie d’une bande de mecs quand elles étaient jeunes et qui, pour avoir cette place-là, devait à certains égards se comporter « comme des mecs », il y en a plein. C’est un commentaire qui est revenu régulièrement sous ma dernière vidéo d’ailleurs, et sous une autre forme, c’est aussi ce qui se passe chez les influenceuses anti-féministes. Elles savent qu’être anti-féministe peut leur apporter du pouvoir dans la position dans laquelle elles sont, et donc elles font ce choix. Et plus généralement, plein de femmes disent et font des choses misogynes pour la validation sociale, ça n’a rien de rare.

Mais du coup des hommes trans qui ne passent pas et qui s’inscrivent quand même dans cette opportunité il y en a forcément. Et ce sera d’autant plus facile pour eux s’ils se sentent moins concernés ou visés par la misogynie. Ce qui n’est pas du tout le cas de tous les homes trans, mais d’un certain nombre quand même.

Concrètement, passing ou pas passing, c’est plus facile de dire des choses misogynes si tu considères que ça te vise pas toi personnellement. Donc le simple fait de se sortir, dans notre image de nous-même, du groupe des femmes, ça peut déjà impacter notre comportement.

L’autre chose, c’est que la violence misogyne ne se situe pas que dans les actions de violence mais aussi dans la conscience de comment ces violences-là s’inscrivent dans un système de hiérarchisation.

Pour faire mon autocritique, dans ma dernière vidéo je disais ça :

Pour moi, le fait de voir mes souvenirs changer et s’adapter à ma vie actuelle ou s’intégrer à mon identité c’est directement parallèle au fait que ces souvenirs deviennent beaucoup moins traumatiques. […] Et ce n’est pas parce que les violences que j’ai pu subir sont magiquement moins violentes si je m’en souviens comme les ayant vécu en tant que garçon.

Je pense que ce que je dis là est vrai pour certains souvenirs. Et certains sont même à l’inverse plutôt devenus plus violents avec ma transition. Les souvenirs d’homophobie envers des hommes que j’ai de mon adolescence me touchent encore plus maintenant que je suis moi-même gay.

Mais certaines violences sont effectivement moins violentes en tant qu’homme, notamment les violences misogynes.

Par exemple, les violences sexuelles que j’ai vécu quand j’étais jeune ont assez clairement été permises et encouragées par la misogynie et l’objectification sexuelle des femmes et des filles. Et, bien sûr, les violences sexuelles en elles-même étaient violentes. Mais mais le fait que ces violences faisaient partie d’un système de hiérarchisation et de domination était violent aussi. Je n’étais pas juste victime de violences sexuelles. J’étais victime de violences sexuelles parce que j’étais une fille et que la société entière était conçue pour faire de moi un objet de consommation et d’exploitation, notamment sexuelle, par les hommes autour de moi.

Et savoir ça, c’est violent aussi.

Presque 15 ans plus tard, je suis toujours traumatisé par ces violences sexuelles et ça impacte toujours ma vie. Que je me perçoive comme un homme et que je sois perçu comme un homme ne change bien sûr pas ça.

Par contre, cela fait des années que je ne suis plus, dans ma vie courante, visé par ce système généralisé d’objectification et de sexualisation misogyne et je peux penser aux violences que j’ai vécues sans qu’elle me rappelle cet état de fait-là puisqu’il ne me concerne plus aujourd’hui. Et ça fait quand même une vraie différence.

Et ce changement de perspective est lié à mon passing, c’est vrai, mais il s’est enclenché bien avant que je passe vraiment, parce que le simple fait de progressivement cesser de percevoir les représentations féminines et les discours sur les femmes comme étant des choses qui me concernent et me visent directement avait déjà fait une bonne partie du travail.

Je ne veux pas généraliser et dire qu’il suffit de se considérer comme un homme pour soudainement ne plus être traumatisé par la misogynie et ne plus se sentir agressé et déshumanisé par elle, parce que c’est évidemment un peu plus compliqué que ça et que la misogynie déshumanise et sexualise aussi les hommes trans par certains aspects.

Et je ne veux pas généraliser non plus et prétendre que les hommes qui ont vécu des violences sexuelles ne peuvent pas vivre ces violences comme s’inscrivant dans un système de hiérarchisation et de de domination qui les oppresse au quotidien parce que c’est aussi faux. Notamment dans le cas des hommes qui ont vécu des violences sexuelles liées à l’homophobie ou au racisme par exemple.

Il n’en reste que c’est un phénomène qui existe et qui se produit et qu’il fait partie des raisons pour lesquelles, à mon avis, considérer que la manière dont on est matériellement impacté par la misogynie ne réside que dans la manière dont les autres nous perçoivent et dans notre passing est simpliste et faux. La manière dont on se perçoit nous-même et dont on se situe nous-même au sein de ces représentations est aussi importante.

Pour être clair, c’est un point que Léo a abordé pendant littéralement secondes, donc je le critique pas particulièrement de ne pas y avoir apporté plus de nuances que ça. C’était juste pas le sujet de sa vidéo.

Mais pour moi c’est une erreur de croire que les hommes trans qui ne passent pas ont un rapport à la misogynie qui est identique à celui des femmes et donc qu’il serait en quelque sorte exemptés de la discussion de : « Est-ce que les hommes trans sont misogynes ? »

Et si on veut parler de la misogynie vécue par les hommes trans, (ce qu’on ne va pas faire parce que c’est pas le sujet de cette vidéo, mais on pourrait) on ne peut faire justice à ce vécu qu’en prenant en compte que la manière dont la misogynie impacte et modifie nos vies n’est pas complètement la même que pour les femmes parce que nous n’en sommes pas, même quand on ne passe pas.

Parfois, ces différence implique qu’on le vive plus facilement, comme dans l’exemple que je développais juste avant, parfois on le vit juste différemment, parfois peut-être même on le vit plus violemment parce que la transphobie s’ajoute à la misogynie, mais dans tous les cas, ça reste une expérience différente de celle des femmes qui va donc logiquement amener à des comportement différents et un rapport différent à la misogynie, au féminisme et aux femmes.

Je vous mettrai aussi dans le i et dans la description une vidéo que Yuffy avait faite où elle m’avait invité sur sa chaîne pour parler de passings et de privilèges, justement, où on parle de ces enjeux pendant 50 minutes et du coup avec une perspective transféminine, pas juste transmasculine sur laquelle je me concentre ici.

Un point notamment que j’abordais dans cette vidéo, c’est que « passer » et « être traité comme un homme » sont aussi deux choses différentes.

Moi par exemple, je passais pas encore trop à l’époque où j’ai commencé mes études mais j’étais out comme mec trans, et ma promo était acceptante de ça donc je faisais partie du groupe des mecs qui avait une meilleure distribution parce qu’il y a plus de rôles masculins au théâtre et qui avait accès aux espaces exclusivement masculins, genre les vestiaires des mecs, qui bien qu’ils étaient vraiment plutôt sympas en l’occurrence ne sont quand même jamais complètement exempts de misogynie non plus. Et moi, j’étais dans ce groupe-là, même sans passer.

Donc oui, bien sûr, le passing influence notre place dans la société et donc les choix qui s’offrent à nous. Mais ce n’est pas du tout aussi simple que : « les hommes trans qui passent comme des femmes ont des expériences de vie de femme. »

Et encore une fois, c’est aussi important à dire parce que l’inverse est vrai à propos des femmes trans.

Les femmes trans qui ne passent pas ne sont pour autant pas forcément encouragées à la misogynie de la même manière que les hommes cis, entre autres parce qu’elles peuvent quand même vivre la misogynie comme une expérience qui les touche violemment et directement même quand ça ne leur est pas explicitement adressé parce qu’elles savent que c’est quand même le groupe auquel elles appartiennent.

Partie 3 : Men are trash, vraiment ?

Tout ce que je viens de dire là commentait juste une très courte ligne dans la vidéo de Léo parce que ça m’a interpellé quand je l’ai regardée, et que ça me paraissait important d’en parler. Mais je vais maintenant revenir sur le gros de la vidéo et sur le sujet qui nous intéresse ici.

Quand je dis que je suis d’accord avec la vidéo de Léo, c’est que je suis d’accord avec l’idée que, si on considère que « Men are trash » est une idée pertinente, alors les hommes trans doivent être inclus dedans, parce que ce sont des hommes avec des vies d’hommes et des comportements d’hommes.

Mais je ne suis pas vraiment d’accord avec le fait que « Men are trash » est une idée pertinente. Ça sonne pas terrible dit comme ça, je sais, mais s’il vous plaît laissez-moi 5 minutes pour m’expliquer.

L’idée derrière « Men are trash », je pense, c’est de dire que, oui, tous les hommes vivent dans le patriarcat et sont donc conditionnés à avoir des comportements misogynes et, immanquablement, en ont. Et entre autres du coup, ça permet de dire que le fait que les femmes soient par défaut suspicieuses des hommes sur le plan de la misogynie et des violences sexuelles notamment, c’est légitime. Et je suis tout à fait d’accord avec ça.

Typiquement, dire : « Mais si j’aborde dans la rue poliment je devrais pas me faire tej parce que moi je suis gentil. » C’est de la merde. Parce que les meufs ont statistiquement raison de présumer que tu vas te comporter comme un connard et elles ont besoin de présumer ça pour pouvoir se protéger efficacement du harcèlement de rue, donc elles le font. Fin de la discussion.

Mais ce dont on parle depuis tout à l’heure c’est le fait que cette violence masculine là n’est pas intrinsèque aux hommes. Elle vient de la place des hommes dans la société qui leur donne l’opportunité et les raison d’être violents. Ce qu’ils peuvent choisir de faire plus ou moins.

Et « Men are trash » dit exactement l’inverse de ça. « Men are trash », si on le prend juste tel quel, c’est un propos essentialiste.

Et ce n’est pas forcément grave tant que « Men are trash » est un slogan. C’est une phrase courte, claire, sans nuance, faite pour choquer et avoir un impact, et pour forcer la conversation de : « Oui, tous les hommes dans le patriarcat ont ce conditionnement-là, sans exception. » C’est d’ailleurs bien pour ça qu’il est ridicule d’y ajouter : « à l’exception des hommes trans. »

Et pour cet usage-là, c’est un slogan qui fait son taf. Mais par contre, pour moi, ce n’est pas une bonne ligne politique.

La ligne politique derrière « Men are trash », ce n’est pas réellement « Les hommes sont tous des connards. » C’est : « Les hommes occupent une place sociale qui leur donne l’opportunité, les outils, la sécurité, et les raisons d’avoir des comportements misogynes donc s’ils ne font pas un réel travail dans le sens inverse la misogynie sera toujours leur mode de fonctionnement par défaut. Et même s’ils le font, il en restera sûrement toujours, et ils continueront au moins partiellement d’en tirer des bénéfices. »

Et si, bien sûr, plein de personnes tout en disant « Men are trash » font attention à garder ça comme ligne politique, plein d’autres ne le font pas et tendent progressivement vers une vision essentialiste de « Men are trash ».

C’est ce qui se passe plus ou moins quand certaines personnes insistent que les hommes trans ne sont pas inclus dans ce slogan.

C’est ce qui se passe plus ou moins dans les rhétoriques transmisogynes qui considèrent que les femmes trans sont marquées à jamais par un hypothétique vécu social et ou biologique d’homme et sont donc condamnées à être violentes.

Ces idées ne sont possibles que si l’on oublie le sous-entendu social et matérialiste derrière « Men are trash » et qu’on se met juste à le lire comme : « Il y a quelque chose de naturellement violent chez les hommes, omniprésents chez eux depuis leur naissance. » Donc on voit bien que plein de personnes croient effectivement ça.

Et il est à noter, c’est important, que par « plein de personnes » je ne veux pas dire « plein de femmes » ou « plein de féministes ». L’essentialisation de cette violence et l’idée que les hommes sont intrinsèquement violents et n’y peuvent rien est une idée omniprésente dans la société. Et notamment évidemment partagée et diffusée par les hommes eux-mêmes que cette idéologie, toute déshumanisante qu’elle soit pour eux, arrange aussi à plein d’égard puisqu’elle légitimise l’application de cette violence comme quelque chose de naturel.

D’ailleurs, parmi les hommes qui s’offusquent du slogan « Men are trash » sur la base qu’il serait faux ou réducteur, plein d’entre eux disent en fait exactement la même chose avec leur propres mots en disant que les hommes ne peuvent pas se retenir d’agresser les femmes si elles se comportent comme ceci ou s’habillent comme cela par exemple.

Ce qui les gêne, ce n’est pas l’affirmation que les hommes sont violents et misogynes. C’est l’idée que ce serait leur faute et un problème, alors que pour eux, non, c’est normal et naturel.

Et je dis bien « les hommes » et pas « les hommes cis », parce que des hommes trans qui souscrivent à l’idée que eux seraient exemple de cette critique et de cette violence parce que la violence masculine ne viendrait pas de l’expérience de vivre en tant qu’homme dans la société mais de quelque chose d’autre qui, apparemment, serait réservé aux hommes cis, ce qui est assez essentialiste aussi en général, il y en a plein. C’est bien pour ça que Léo et moi nous retrouvons à faire ce genre de vidéos.

En l’occurrence, ici je me concentre effectivement plus sur des propos tenus par des femmes mais c’est parce que le sujet est celui du traitement des hommes trans par les milieux féministes qui sont, du coup, forcément principalement composés de femmes.

Il ne s’agit pas de dire que les féministes ou même les femmes en général sont les premières à défendre des idées essentialistes sur les hommes parce que ce n’est pas vrai. Juste que différents groupes défendent ces idées pour différentes raisons et de différentes manières et qu’ici on s’intéresse aux relations entre les personnes transmasculines et le féminisme donc c’est sur ces arguments là qu’on se concentre.

Mais non, bien sûr, l’essentialisation de la violence masculine n’est pas portée particulièrement par les femmes.

Maintenant qu’on a dit tout ça, c’est quoi le problème avec cette essentialisation ?

Comme je le disais juste avant, cette essentialisation pose problème notamment parce qu’elle légitimise la violence masculine en la considérant comme naturelle et inévitable, voire bonne dans certains cas.

Elle pose problème parce qu’elle mène à des violences envers les hommes dont les émotions, l’empathie, et le besoin d’affection et de relations humaines sincères sont niées au profit de l’idée qu’ils ne peuvent avoir des relations que dans la violence.

Elle pose problème parce qu’elle empêche de prendre en compte et de soutenir les hommes victimes de violence, notamment sexuelle, en binarisant complètement la question des violences comme étant formé de deux groupes : celui qui est intrinsèquement auteur des violences, et celui qui est intrinsèquement victimes de violences.

Elle pose problème parce qu’elle légitimise les violences notamment racistes commises à l’égard d’hommes marginalisés dont la masculinité, et la dangerosité et l’agressivité présumées qui en découlent, sont brandis comme justification de ces violences. C’est ce qu’on voit notamment dans le fémonationalisme et l’homonationalisme qui veulent nous faire croire que les violences sexuelles ou les violences homophobes sont particulièrement le fait d’hommes racisés, et notamment noir et arabes, en utilisant les clichés racistes qui les présentent comme plus viril et plus masculin et donc plus agressif pour promouvoir des idées fascistes.

Elle pose problème parce qu’elle nourrit les idéologies queerphobes et misogynes de tout genre en considérant que toutes les personnes qui ont une proximité ou une autre à la masculinité sans en être les détentrices légitimes sont souillées par elle et rendues dangereuses par elle.

Par exemple, quand on dit que les hommes trans ruinent leur corps en prenant de la T parce que la masculinité les dénature. Par exemple quand on dit que les femmes qui ont des relations sexuelles avec de multiples hommes sont dégradées par ce contact-là. Par exemple quand on considère que les femmes trans doivent être intrinsèquement violentes ou perverties en comparaison des femmes cis qui elles seraient innocente et pures, etc.

Il y a choses à dire là-dessus, et je vais pas le faire aujourd’hui mais si ça vous intéresse, je vous met un article de Julia Serano spécifiquement sur le sujet dans la description.

Et enfin, elle pose aussi problème parce que dire « Être un homme, c’est être violent. » revient directement à dire aux hommes trans que choisir de transitionner c’est choisir d’être violent. Et je ne vais pas trop m’attarder là-dessus tout de suite parce que c’est le sujet de la prochaine partie mais vous imaginez bien quand même que ça a un peu des conséquences sur nos opportunités de transition.

La conclusion qu’on peut tirer de ces observations, c’est que l’essentialisation de la violence masculine n’est pas une grille d’analyse efficace pour la comprendre et, surtout, n’est pas un outil efficace pour la combattre. Au contraire, elle a tôt fait, même quand elle est utilisée dans un but à priori féministe, d’être réorienté vers ce qu’elle fait toujours, à savoir : nourrir la misogynie, les queerphobies, et le racisme.

Ça ne veut pas dire que je pense qu’il faut bannir le slogan « Men are trash » du vocabulaire militant. De toute façon c’est pas moi qui choisit, on s’en fout. Mais ça peut vouloir dire qu’il faut réfléchir à quand, pourquoi, et adressé à qui on l’utilise, et à ce qu’on met derrière.

Et aussi, et surtout pour le sujet qui nous intéresse dans cette vidéo, ça veut dire que « Est-ce qu’il faut inclure les mec trans dans ‘Men are trash’ ? » c’est une mauvaise question. Parce qu’elle essaie de poser une question politique complexe, à savoir : « Quelle est la place des hommes trans dans la misogynie, le patriarcat, et le féminisme ? » en se basant sur un slogan qui est juste un slogan et qui est volontairement trop synthétique pour porter cette complexité-là, donc on se tire un peu une balle dans le pied.

Et du coup, il est temps de poser la vraie question.

Partie 4 : Qu’est-ce qu’on fait des hommes trans ?

Ce qui m’a personnellement beaucoup manqué dans la vidéo de Léo et ce qui m’a motivé à faire celle-ci, c’est une absence de discussion sur pourquoi une partie non-négligeable des hommes trans souscrivent à l’idée qu’il ne devrait pas être inclus dans « Men are trash ».

Encore une fois, c’est pas tant une critique de la vidéo en elle-même. Il a choisi son sujet, c’était pas à son sujet, donc il en a pas parlé plus que ça. Mais pour moi c’est une partie importante de la conversation et je trouve on ne l’a jamais. On ne l’a pas dans la vidéo de Léo, Mais, plus généralement, on ne l’a pas quand ces débats reviennent sur internet et dans le peu que je lis de sociologie etc. c’est pas quelque chose que je retrouve suffisamment non plus. Et cette discussion, j’ai envie de l’avoir et c’est pour ça que j’écris ça.

Raison numéro 1 : La crainte d’être misogyne

La première raison un peu évidente et qui est souvent invoquée par les personnes qui défendent l’idée que les mecs trans doivent être inclus dans « Men are trash » c’est que les mec trans refusent cette idée parce qu’ils n’ont pas envie de se faire dire qu’ils sont misogynes, même quand c’est vrai.

C’est jamais confortable de se faire mettre le nez dans son caca, et c’est très courant dans n’importe quel groupe d’avoir, face à la critique de violences systémiques, une réaction de défense pour s’auto-convaincre et convaincre les autres que nous on est « une bonne personne » et que ces critiques-là ne nous concernent pas.

Dans ce cas de figure, « Non je suis pas misogyne, j’ai été une femme. » c’est un peu la version transmasc de « Non, je suis pas misogyne, j’ai une mère et des sœurs. » Certes. Mais ça ne suffit pas.

Je pense qu’il a une couche supplémentaire dans cette défense dans le cas des personnes transmasc, parce qu’il ne s’agit pas juste d’être mal à l’aise avec l’idée d’être violent ou d’être « une mauvaise personne » mais aussi d’être d’autant plus mise en détresse par cette accusation que c’est une violence dont on a fait les frais. Quand on a vécu la misogynie et qu’elle nous a marqués voir traumatisés c’est d’autant plus difficile de se faire dire qu’on commet nous aussi cette violence-là et qu’on inflige peut-être ce qui nous a été infligé.

Évidemment que c’est douloureux et difficile, c’est normal. Mais si cette réaction de défense est compréhensible, elle ne reste pas moins mal placée, parce que la critique est vraie : les hommes trans sont des hommes, capables de misogynie et, dans pas mal de cas, encouragés à en faire preuve.

Et je pense que c’est important pour tout le monde de travailler sur sa misogynie et de faire des efforts pour essayer de conscientiser la manière dont elle nous impacte et nous influence et de mettre en place des choses concrètes pour changer ça dans notre quotidien mais c’est d’autant plus important pour les hommes et donc aussi pour les hommes trans.

Du coup, s’il y a des hommes trans qui regardent cette vidéo et qui ont tendance à être dans cette position, qui ont tendance à considérer qu’ils ne devraient pas être perçus comme des hommes cis quand on parle de misogynie, que cette critique-là ne devrait pas leur être adressée, plutôt que d’essayer de vous convaincre et de convaincre les autres que votre transidentité vous protège d’être misogyne, mon conseil c’est de réfléchir à ce que vous pouvez faire concrètement pour améliorer votre comportement parce qu’il y a toujours une marge d’action et qu’en plus d’être bénéfique pour la manière dont vous traitez les autres, avoir ces habitudes et ces outils sera aussi probablement plus efficace pour vous rassurer sur votre capacité à rester des êtres humains décents peu importe vos choix de transition dans le futur.

Et je ne peux pas faire un tuto « Comment ne pas être misogynes en minutes. » parce que si c’était aussi facile que ça on n’aurait pas ce problème.

Mais pour donner un exemple concret de mon quotidien, je sais que les gens ont tendance à d’une part moins prendre les femmes au sérieux et à moins les écouter quand elles donnent des informations, et d’autre part à plus rapidement dénigrer les femmes quand elles font de l’humour ou des choses absurdes ou drôles ou whatever, et du coup quand je scrolle des shorts YouTube et que je me retrouve à me dire qu’une vidéo faite par une meuf ne m’intéresse pas ou m’ennuie, je me pose une seconde pour réfléchir à : Est-ce que je me dirais la même chose si c’était un mec ?

Et des fois oui juste ça m’intéresse, pas évidemment. Mais des fois je me dis : « Bah non en fait, des gars qui parlent de plantes de manière random j’en suis deux et puis je les aime bien, alors pourquoi est-ce que là ça m’intéresse pas ? C’est con. » Et du coup je regarde la vidéo et je m’abonne

  1. Ça m’intéresse, en fait.
  2. C’est important de soutenir les meufs qui sont du coup moins visibles sur YouTube à cause de tout ça.
  3. C’est important que j’en rajoute pas une couche en regardant que des mecs et en renforçant mes propres biais.

Et du coup si vous aimez les plantes, je vous mets la chaîne de Ta Mère Nature dans la description, c’est cadeau.

Mais voilà, c’est pas grand-chose, ça va pas sauver le monde, mais c’est un exemple concret de chose que je peux mettre en place dans mon quotidien pour essayer d’aller à l’encontre de ce que mon environnement me pousserait à faire si j’y faisais pas attention.

Et c’est possible, et on devrait tous être en train de faire ça. Mais ce n’est possible que si je reconnais que cette influence-là existe dans ma vie , et donc il faut commencer par là.

Maintenant qu’on a dit tout ça, il y a quand même bien plusieurs autres causes à la réaction un peu viscérale que certains hommes trans peuvent avoir autour de ce débat et qui sont légitimes et importantes et dont on va parler maintenant. J’en ai distingué principalement trois, mais avant de m’attaquer aux vraies failles dans les discours sur la transmasculinité qui sont ce que les hommes trans dénoncent, je vais en rajouter une autre qui n’est pas vraiment de la même catégorie.

Raison numéro 2 : Les hommes trans ne croient pas en leur propre transition

Celle-là elle va piquer un peu, je suis désolé. Ça fait un moment que je pense à ce sujet et que je me dis qu’il faudrait que j’en parle un jour et cette vidéo est de toute façon déjà trop longue donc pourquoi pas en rajouter ?

Quelque chose que je lis souvent de la part d’homme trans qui se défendent d’être groupé avec les hommes cis, c’est, en gros : « On sera jamais perçus et traités comme des ‘vrais hommes’ par la société. » Et je ne sais pas qui vous a dit ça*, mais c’est pas vrai.

* En vrai si, je sais, c’est la transphobie, mais bref.

Je ne nie pas qu’il y a des hommes trans qui ne passent pas ou pas toujours, et que parmi eux certains ne passeront jamais pour de multiples raisons.

Je ne nie pas que, peu importe notre passing, il y a quasiment toujours dans nos vies des gens qui savent que nous sommes trans, genre notre famille, ou des gens qu’on connaît depuis longtemps, ou des partenaires sexuels selon nos pratiques, et que ces personnes sont susceptibles de ne pas nous voir ou nous traiter comme des « vrais hommes ».

En revanche, ces situations ne sont pas la majorité. A minima pas dans un pays comme la France, où malgré tous les écueils qu’il y a à la transition, elle reste relativement possible.

Et je ne crois pas non plus que tous les hommes trans qui tiennent ce genre de propos soient dans ces situations et soient destinés à le rester toute leur vie.

Donc je vais le dire : la transition, ça marche.

Les hommes trans, dans leur grande majorité, atteignent à un certain point, au bout de plus ou moins de temps suivant leurs différents parcours de transition, le stade d’être généralement perçus comme des hommes au quotidien.

Je ne dis pas ça avec colère ou jugement, parce que je comprends, vraiment. Moi aussi, pendant des années, l’idée de vivre un jour en tant qu’homme me paraissait inatteignable. Ce n’est pas facile de déconstruire la propagande transphobe qui nous fait croire que nos corps et nos vies ne sont que des parodies factices et partielles et que nous n’atteindrons jamais le stade d’être des hommes, dans la vraie vie, devant les gens et dans leur perception de nous. Mais c’est quand même important de le faire.

Et si, encore une fois, j’entends bien que ce n’est pas accessible ou même souhaité par 100% des hommes trans, je pense que beaucoup d’hommes trans qui se rangent derrière la défense de « Mais je serais jamais vraiment perçu comme un homme. » le font avec une vision très tronquée de ce que la transition fait.

Il y a quelques temps, j’ai échangé avec une personne transmasculine attirée par les hommes qui cherchait des textes pornographiques écrits par des hommes cis gay. Et dans sa recherche elle disait :

Je précise «cis » parce que je sais que les hommes trans n’ont pas nécessairement une compréhension intuitive de l’attirance pour les hommes en tant que personne socialisée comme un homme, et c’est ça que je cherche à apprendre et à imiter.

Et, pour lui donner un peu de crédit, je pense que c’est vrai que certains hommes trans et certaines personnes transmasculines homosexuelles n’en sont pas à un stade de leur transition où leurs expériences et pratiques sexuelles sont perçues et traitées par elles et par les autres comme gay, et que ça peut se refléter dans la manière dont ils en parlent.

Mais la croyance que c’est quelque chose de plus ou moins définitif ou inévitable et que les hommes trans ne deviennent pas, par leur transition, des hommes à part entière avec des vies d’hommes et capables de dire des choses sur la masculinité en général et pas juste sur la masculinité trans en particulier qui serait fondamentalement séparée et reléguée à une imitation ou une construction à laquelle il manquerait toujours une fondation, c’est faux.

Croyez-le ou non, les hommes cis non plus ne naissent pas avec une compréhension intuitive de l’homosexualité masculine et passe par des phases d’apprentissage de leur sexualité et de leur genre comme les hommes trans. Littéralement, la première fois de ma vie où j’ai couché avec un homme cis qui était attiré par les hommes, j’ai accepté de le rencontrer parce que quand on parlait de notre rapport à l’homosexualité et aux questions que ça nous posait et aux difficultés que ça nous posait de concevoir ces choses-là, on était d’accord sur tout et on en était au même stade d’essayer de comprendre ce qui nous arrivait.

Les hommes trans sont des hommes. Ce n’est pas un slogan pour nous faire plaisir, c’est vrai. Et, en grande majorité, je pense que vous ne vous rendez pas service en continuant de défendre l’idée que, en fait, vous êtes et serez toujours perçu comme des femmes.

Sur ces bonnes paroles, passons à la partie qui nous intéresse vraiment : les problèmes et manquements de fond à beaucoup de discours sur les hommes trans et leur position dans la société.

Raison numéro 3 : La dépendance des espaces féministes et féminins

Qu’est-ce que je veux dire par là ? Je veux dire qu’il y a plein d’hommes trans qui se sont d’abord pensés comme des femmes, notamment comme des femmes féministes et/ou accordant de la valeur à la solidarité féminine, et dont le cercle social proche est conditionné par ça.

  • Par exemple, la majorité de leurs amies sont des femmes féministes.
  • Par exemple, ils sont bénévoles dans une asso féministe.
  • Par exemple, ils font partie d’un club de lecture ou d’un groupe d’autodéfense féministe.
  • Par exemple, ils sont travailleurs du sexe et se retrouvent en réseau avec des travailleuses du sexe pour leur sécurité.
  • Par exemple, ils ont fuit une situation de violence conjugale et ont été hébergés grâce à une association de défense des femmes.
  • Par exemple, ils sont des parents isolés et s’entraident avec des maman solo de leur quartier.
  • Par exemple, ils ont été victimes de violences sexuelles et trouvent du soutien utile voire nécessaire dans des groupes d’échanges féministes ou féminins.

Bref, leur vie a été marquée et par la misogynie et par la solidarité féminine qui permet d’y survivre, et, un jour, ils se rendent compte qu’ils ne sont pas des femmes.

Et c’est pas facile, en fait. Parce que ça donne le choix entre renier leur identité d’homme ou quitter les groupes qui constituent une partie significative de leur quotidien, de leur vie sociale et affective, de leurs ressources matérielles, etc.

Et une manière de réconcilier ça, c’est d’essayer de se dire et de dire aux autres que ça ne change rien. Que la misogynie les concerne pareil, qu’ils sont toujours camarades de ces femmes-là, et qu’ils ont toujours leur place dans cette solidarité comme avant. Que les hommes trans sont des hommes, mais qu’en manière de misogynie et de féminisme, il devrait être groupés avec les femmes et pas avec les hommes.

Et par plein d’égard, c’est vrai.

Bien sûr que les hommes trans devraient avoir accès aux aides associatives autour de l’avortement ou de la contraception. Ou bien sûr que les papas trans solo ont toujours besoin d’aide, bien sûr qu’ils comprennent bien au moins dans une certaine mesure les difficultés vécues par leur paires femmes, et bien sûr qu’ils peuvent continuer à s’entraider. Et c’est d’autant plus vrai en début de transition quand la misogynie est souvent encore très présente et plus qu’elle ne le sera plus tard.

Mais à certains égards, ce n’est pas vrai non plus.

Oui, à un moment de ta transition, tu vas cesser d’avoir ta place dans les groupes non-mixtes de meufs. C’est comme ça. Et si tu en dépends pour ta sécurité, ta santé, ta socialisation, ou autre, ben c’est terrifiant. Et ça peut être réellement dangereux.

Et une réaction logique à ça c’est de dire : « En fait non, les hommes trans ont leur place dans les milieux féministes et féminins. On ne devrait pas faire de la non-mixité femmes, mais de la non-mixité sans hommes cis. »

Et des fois c’est pertinent, mais des fois ça ne l’est pas. Et aussi, des fois, cette défense-là a un revers transmisogyne où en argumentant pour l’inclusion des hommes trans dans les milieux qui parlent de misogynie, on argumente aussi pour l’exclusion des femmes trans. On créer des non-mixités AFAB. On invite des mecs trans pour parler pendant des événements féministes Où, par contre, on n pas de femmes trans dans les intervenantes, etc.

Ce n’est pas systématique. On peut défendre l’inclusion des femmes trans et des hommes trans en même temps parce que nous ne sommes pas le miroir inverse les uns des autres. Quand on dit quelque chose des hommes trans, on n’est pas obligés de dire l’inverse des femmes trans. On peut dire que les hommes trans et les femme trans vivent de la misogynie. On n’a pas à choisir l’un ou l’autre. Mais ça reste un problème courant.

Et c’est quoi la solution à ça ?

Une partie du problème, à mon avis, c’est la volonté de vouloir décider d’une règle fixe et unique qu’on pourrait juste appliquer sans avoir à y réfléchir. Il faudrait choisir que soit tous les hommes trans doivent être inclus partout, soit aucun homme trans ne doit être inclu nulle part. Et ça ne fonctionne pas.

Les mecs trans sont un groupe large et hétérogène, avec plein d’expériences de vécus différents qui vont nécessiter des formes de soutien différentes.

C’est facile, pour moi, de dire : « Je pense pas que les hommes trans ai besoin d’accéder à l’entraide féministe. » parce que c’est pas mon cas. Moi, personnellement, dans ma situation, je ne suis pas particulièrement à risque de violence conjugale ou de violence sexuelle. En tout cas pas d’une manière misogyne. J’ai assez peu de chance d’avoir besoin de l’IVG un jour et je me sens pas super concerné par la question. Je suis en relative sécurité dans ma famille et dans l’espace public. J’ai pas de gamin à charge. Je suis pas TDS. J’ai accès à la transition médicale comme je le souhaite et mon passing me protège dans pas mal de situations. J’ai rien à y faire dans un groupe d’entraide féministe, et je pense pas qu’on devrait essayer de m’y inclure.

Mais en même temps je vois bien qu’un mec trans qui est dans une relation avec un mec hétéro et victime de violences conjugales, ou un mec trans qui ne passe pas et est victime de violence misogyne dans l’espace public au quotidien, ou un mec trans qui est dans une situation où le risque de grossesse et de besoin de recours à l’IVG est important, par exemple, vont avoir besoin de soutien sur ces enjeux là. Et, à l’heure actuelle, c’est vrai, ce sont surtout les milieux féministes qui peuvent le leur fournir.

Et forcément, c’est quelque chose qui peut retenir des hommes trans dans ces situations de faire leur coming out, ou, c’est courant aussi, les retenir de faire leur coming out en tant qu’homme au profil de s’identifier plutôt comme non-binaire, une identité qui justifiera plus facilement leur appartenance à des groupes de femmes, mais qui ne leur permettra pas forcément de faire la transition qu’ils souhaitent, j’ai aussi une vidéo là-dessus.

La première chose qu’on peut faire pour répondre à ces enjeux, c’est de reconnaître que, si « inclure les hommes trans partout tout le temps » est une mauvaise ligne de conduite, on ne peut pas non plus appliquer l’extrême inverse et dire qu’à la seconde où un mec trans fait son coming out on transforme entièrement la manière dont on interagit avec lui et le soutien qu’il reçoit des groupes féministes et féminins.

Il faut prendre en compte que la transition, comme son nom l’indique, requiert des espaces transitoires.

Et qu’il faut progressivement et au cas par cas offrir à ses hommes-là une continuité dans leurs espaces de socialisation et les ressources auxquelles ils ont accès pour vivre. Il faut chercher les endroits où ces espaces peuvent leur bénéficier sans que ce soit au détriment des femmes qui en font partie et où ils vont à un moment cesser d’avoir leur place.

Mais c’est un travail complexe et long parce qu’il n’y a pas de réponse toute faite. Il s’agit de réfléchir, pour de vrai, aux ressources que l’on proposes, aux raisons de la non-mixité quand elle existe, et à comment on souhaite s’organiser pour distribuer ces ressources et atteindre nos objectifs en prenant en compte les vécus divers et complexes et individuels des personnes avec lesquelles on est amené à travailler.

Mais une autre partie de la solution à ce problème, c’est tout simplement qu’il faut plus d’espace trans en général, et transmasc en particulier.

Que les hommes trans ne devraient pas dépendre uniquement de groupes féministes et de groupes de femmes pour recevoir le soutien dont ils ont besoin, et que c’est à la communauté transmasc de se mobiliser pour créer les espaces qui nous manquent et qui en plus du coup seront plus adaptés à nos enjeux spécifiques puisque, comme on l’a vu au début, même la misogynie reste une expérience différente lorsque l’on est un homme. Et on a tout à gagner à avoir des espaces qui sont capables de prendre ça en compte.

On peut bien sûr tirer usage de ce que les milieux féministes nous apprennent. C’est même probablement nécessaire.

Et on peut chercher les endroits où les lieux mixtes sont utiles, bénéfiques et efficaces. Il ne s’agit pas de dire que les meufs devraient toujours rester entre elles et les mecs trans entre eux. Il y a sûrement plein de situations où la solidarité et le partage de ressources fonctionnent mieux.

Mais, je pense, on ne peut pas utiliser l’excuse de « Mais nous aussi on vit la misogynie. » pour demander à ce que les espaces féministes nous soient ouverts comme aux femmes, a fortiori quand on voit les idées qui sous-tendent la croyance que les hommes trans auraient une place similaire à celle des femmes dans dans le patriarcat.

Raison numéro 4 : L’anti-transmasculinité ambiante

La 4ème raison, pour moi, aux réactions de tension et de rejet de la part de pas mal d’hommes trans dans ces discussions face à l’idée qu’ils font partie du groupe oppresseur dans le patriarcat au même titre que les hommes cis, c’est que ces discours s’inscrivent dans un climat général d’anti-transmasculinité.

Ce que je veux dire par là, c’est que des discours transphobes qui visent les hommes trans en particulier, il y en a. Et notamment parmi eux, il y a un certain nombre de discours qui accusent les hommes trans de transitionner par misogynie internalisée ou lesbophobie internalisée. Qui accusent les hommes trans de trahir la classe des femmes en transitionnant.

C’est par exemple ce qu’on a vu à l’œuvre quand, après le coming out d’Elliot Page, certaines personnes ont présenté ça comme la « perte » d’une femme lesbienne et d’une représentation qui leur aurait été retirée. Il aurait fallu qu’il reste une femme parce que c’était utile aux femmes, et son choix de vivre en tant qu’homme serait une trahison, une attaque qui retire aux femmes une chose à laquelle elles auraient droit et que c’était sa responsabilité de leur donner.

Plus généralement, c’est aussi ce qui est sous-entendu dans tous les discours à base de : « Tu aurais dû rester une femme masculine. » ou « On peut être masculine sans être un homme. » et autres accusations aux personnes trans de renforcer les stéréotypes de genre.

La transition des hommes trans est traitée comme une affirmation faite à l’encontre de l’existence des femmes masculines. Nos transitions seraient antiféministes, voire anti-femmes, puisqu’elles sous-entendraient qu’il n’y a qu’en étant des hommes que nous pourrions vivre comme on veut alors que les femmes elles n’auraient pas accès à ça. Ce qui, bien sûr, est faux.

Les femmes peuvent être aussi masculines qu’elles veulent et faire tout ce qui leur chante, je n’en suis juste pas une quand même. Je n’ai pas transitionné pour avoir le droit d’être masculin. J’ai transitionné pour être un homme. C’est tout.

Un autre pan de ces arguments sont ceux qui décrivent L’anti-transmasculinité ambiante., la bonté, la beauté, l’attractivité, l’empathie et que sais-je d’autre, ont été mutilées, dénaturées, salies ou endommagées par leur transition.

Il ne s’agit pas ici tant d’une accusation d’avoir trahi les autres femmes que d’avoir trahi la femme qu’ils sont censés être. On dépossède les hommes trans de leur corps en les accusant, en le modifiant, de mutiler des corps de femmes.

Mais quel rapport avec « Men are trash », me direz-vous ? Le rapport, c’est deux choses.

D’une part ces rhétoriques-là sont plus ou moins explicitement basées sur les idées essentialistes dont on parlait au début. Les femmes sont pures et innocentes et bonnes et les hommes sont intrinsèquement violents, et donc c’est une violence faite aux femmes que de devenir un homme. Le corps des femmes est sacré et c’est un blasphème que d’y toucher, même quand c’est ton propre corps.

Et, d’autre part, ces rhétoriques-là contribuent à un imaginaire collectif sur la transition des hommes trans comme une trahison, comme un acte égoïste, voire, comme on l’a dit, comme un acte violent. Et cet imaginaire là n’est pas sans effet sur les hommes trans et leurs transition.

Des hommes trans et des personnes transmasculines dont les transitions ont été gravement ralenties par ces idées-là, par la peur de l’isolement, par la peur de devenir violent, par la peur de « changer de camp » et de trahir, j’en ai vu plein. Vraiment beaucoup. Et des personnes qui ont détransitionné à cause de ces discours-là, j’en connais.

Ce n’est pas un problème anecdotique. Et évidemment que ça ne l’est pas, parce que oui, devenir et être un homme est un processus à plein d’égards effrayant dans une société patriarcale où tout nous pousse à voir le genre comme une guerre. Guerre dont on a, souvent, fait les frais nous-mêmes avant notre transition.

Et encore une fois, pour moi, la discussion de la misogynie des hommes trans est une discussion réelle, qu’on peut et qu’on doit avoir. C’est une discussion nécessaire qui, si on l’a correctement, je pense, bénéficie aux transitions des hommes trans qui pourront comprendre avec plus de nuances et d’exactitude la manière dont leur position et leurs conditions de vie peuvent être amenées à évoluer avec leur transition.

C’est ce que je disais juste avant. Pour que les hommes trans croient en leur transition, ils ont besoin de croire qu’ils seront des hommes, et on ne peut pas avoir cette discussion indépendamment de la discussion sur la misogynie. Et je pense sincèrement que travailler sur la misogynie et la propagande misogyne bénéficie aussi aux hommes trans qui font ce travail.

Donc il ne s’agit pas de dire qu’évoquer le sujet en soi est une attaque transphobe, au contraire.

Par contre, forcé de constater que cette discussion n’est, en général, pas conduite avec nuance et une réelle prise en compte de ce qu’elle implique pour les hommes trans, et que dans plein de cas elle est effectivement imbibée de ces représentations dont je parlais plus tôt.

On ne peut pas reprocher aux hommes trans d’avoir du mal à accepter d’avoir cette discussion quand cette discussion leur est souvent apportée sans attention et place portée aux enjeux qui traversent leur vie au quotidien.

On peut avoir cette discussion, et on doit l’avoir, mais on ne peut le faire que si on prend le temps de réellement penser les transmasculinités dans leurs enjeux et leur complexité sans s’abaisser à des simplifications essentialistes sur ce que cela veut dire et implique de devenir et d’être un homme trans.

Et même, si je peux me permettre, sur ce que ça veut dire de devenir ou d’être un homme, tout court.

Ce qui nous amène, excellente transition, à notre dernier point :

Raison numéro 5 : Les hommes aussi sont minorisés

Le dernier problème récurrent de cette discussion que je veux aborder aujourd’hui et qui, pour moi, est le plus important, c’est la polarisation du discours sur les violences genrées et les dynamiques de domination uniquement autour de l’axe homme-femme, et la simplification de la question en, essentiellement : « Dans la société, il y a les hommes et les femmes, et les hommes dominent les femmes. Fin. »

Bien sûr, il ne s’agit pas de nier la violence masculine et le fait que, globalement, les hommes détiennent plus de pouvoir que les femmes, et spécifiquement entre autres, du pouvoir sur les femmes. Mais plein d’autres paramètres entrent en jeu dans l’analyse et la compréhension des rapports de pouvoir genrés, et ces choses-là sont importantes.

La première, qui devrait il me semble être évidente, c’est que les hommes trans sont des hommes, oui, mais ils sont aussi trans, c’est un peu tout le concept. Les hommes trans sont certes dans une position de domination possible envers les femmes, mais dans le cas des femmes cis, qui sont quand même la majorité d’entre elles, ils sont aussi dans une position d’oppression, parce qu’ils sont trans et qu’elles sont cis.

Pourtant, si on peut entendre des gens dire plus ou moins explicitement qu’en transitionnant, les hommes trans choisissent de se mettre en position de domination envers les femmes on ne voit globalement jamais personne dire que les personnes cis, en choisissant de ne pas transitionner, se mettent en position de domination envers les personnes trans. Est-ce que ce serait pas un peu bizarre quand même ?

Non, c’est pas bizarre en vrai. C’est juste la transphobie.

Le sexe des personnes cis est traité comme naturel et donc inquestionnable, mais celui des personnes trans, lui, est suspect et artificiel, et s’il ne nous plaît pas, on a le droit de leur demander de le changer. Ou de ne pas le changer, formulez ça comme vous voulez.

Si on veut vraiment appliquer l’idée que faire des choix de transition dans un sens ou un autre est moralement répréhensible s’il te met dans une position de domination sur quelqu’un d’autre, alors les hommes trans font un choix moralement répréhensible en restant des femmes cis, et un choix moralement répréhensible en transitionnant et en devenant des hommes trans. On voit bien que ça ne marche pas comme raisonnement.

Plus généralement, sans répondre à des propos aussi extrêmes et absurdes, on peut dire que, si on peut parler d’un gain de privilège de genre chez les hommes trans du fait qu’ils sont des hommes, cela ne peut pas se faire sans reconnaître dans le même temps une perte de privilège du fait qu’ils sont trans.

Et les deux ne s’opposent pas, parce que le privilège n’est pas une jauge unique où on te note de 0 à 10 et où tu ne peux que monter ou descendre. C’est quelque chose qui s’applique dans toutes les interactions de diverses manières et qui peut donc s’améliorer par certains aspects tout en se détériorant par d’autres. Je risque moins de me faire harceler dans la rue que lorsque j’étais perçu comme une femme, mais par contre je n’ai pas le droit à la PMA.

La condition sine qua non d’une discussion constructive et juste sur les privilèges masculins des hommes trans, c’est la reconnaissance des violences qu’ils vivent. La reconnaissance des violences qu’ils vivent en tant que personne trans, mais aussi la reconnaissance des violences qu’ils vivent en tant qu’homme.

Le genre est un paramètre qui influence énormément les violences que l’on vit au quotidien et cela n’est pas vrai que pour les femmes.

Les hommes trans aussi sont victimes de violences genrées, en particulier quand ils sont marginalisés par ailleurs.

La transphobie que subissent les hommes trans est si similaire ou comparable à celle que vivent les femmes trans dans un certain nombre de ses formes, mais par d’autres elle ne l’est pas. Parce que nous ne sommes pas juste trans, nous sommes des hommes trans. Et la transphobie nous vise et nous impacte en tant qu’hommes trans. Et on ne peut pas séparer ces deux moitiés de la même identité en prétendant qu’homme offre du privilège d’une part et trans offre de la discrimination de l’autre.

De la même manière, les hommes homosexuels ne sont pas juste homosexuels, et l’homophobie qu’ils vivent, si elle partagent des points communs avec l’homophobie vécue par les femmes homosexuelles, ne se résume pas à ces points et a ses propres spécificités, par exemple dans ses liens avec la sérophobie et la crise du VIH/SIDA pour ne pas les citer.

Notez bien que je ne suis pas en train de dire que les lesbiennes ne peuvent pas avoir le VIH ou le SIDA ou que la communauté lesbienne n’a pas été impactée par la crise. Mais juste que, pour plein de raisons à la fois historiques, culturelles, et médicales, le stigma du VIH/SIDA ne leur est pas appliqué de la même manière.

Encore une fois, on ne peut pas traiter correctement les vécus des hommes homosexuels en les considérant comme hommes d’un côté et homosexuels de l’autre. L’homophobie les vise en tant qu’hommes homosexuels et spécifiquement ces deux choses à la fois.

Troisième exemple, et il y en aurait d’autres mais je vais m’arrêter là parce que cette vidéo est déjà immense, les hommes non-blancs ne subissent pas le racisme dans une bulle isolée de leur genre.

Je le mentionnais plus haut, les hommes noirs et arabes, et en particulier ceux d’entre eux qui sont musulmans, subissent des violences racistes liées à la présomption de violence, de dangerosité et de misogynie qui leur est assignée, pas seulement parce qu’ils sont noirs, arabes, et/ou musulmans, mais parce qu’ils sont spécifiquement des hommes noirs, arabes et/ou musulmans.

Si le sujet vous intéresse, je vous mets un article de Joao Gabriel sur le sujet dans la description.

Tous ces fait-là, et d’autres, ils sont importants à prendre en compte et rendent caduque un analyse de ces enjeux qui voudrait nous faire croire que le statut d’homme est uniquement un statut qui donne du privilège et que devenir un homme est nécessairement uniquement une promotion dans la société et une amélioration des violences genrées.

S’il ne s’agit pas de nier que c’est aussi et en bonne partie effectivement un gain de privilège, de confort, et de sécurité pour nous de devenir des hommes, et en particulier pour les moins minorisés d’entre nous, ce n’est pas que ça, et ça ne peut pas être que ça.

La totalité des hommes trans sont trans, déjà, donc pour tous notre masculinité vient avec son lot de minorisation, mais en plus de ça, la majorité d’entre nous ne sommes pas hétéro, blancs, de classe moyenne et valides.

J’ai cherché des stat pour l’occasion, et ça vaut ce que ça vaut mais l’étude de que j’ai trouvé annonçait que 23% des hommes trans interviewés dans le cadre de l’étude s’identifiaient comme hétéro. Donc même avec une bonne marge d’erreur, on n’y est pas.

Il y a une raison pour laquelle les hommes trans trouvent violente l’analyse de leur masculinité sous le prisme unique d’un gain de privilège. Et cette raison est très simple : c’est faux.

La masculinité d’énormément d’hommes tout court, mais celle des hommes trans en particulier, est intrinsèquement liée à des vécus de marginalisation et de violence qui ne sauraient être reconnus et étudiés sans prendre en compte comment le facteur du genre les impacte et faire une analyse simpliste de la masculinité et de ce que représente en terme de violence et de statut social d’être ou de devenir un homme sans reconnaître ça, c’est effacer les violences genrées transphobes, homophobes, racistes, classistes et validistes vécues par les hommes minorisés, et ce n’est pas acceptable. Et ces hommes ont raison de le dire.

Conclusion

Je viens de parler pendant 50 minutes parce que c’est mon métier. Mais en réalité la conclusion de cette vidéo est assez simple : les hommes trans sont des hommes.

En cela, oui, leur statut d’homme leur confère un certain privilège, ou, si on veut le dire d’une manière plus claire : un accès plus grand à certaines ressources et les opportunités, les outils, l’impunité, et les raisons de commettre des violences à l’égard du groupe oppressé à savoir en l’occurrence les femmes. Donc quand c’est de ça dont on est en train de parler, oui, bien sûr, il faut inclure les hommes trans dans le lot.

Mais aussi comme tous les hommes, la masculinité des hommes trans et leur statut d’homme ne se résument pas à un accès à des ressources et des opportunités de violence. Elle est intrinsèquement liée au reste de leurs identités et vécus en société qui sont toujours aussi porteurs de violences et de discriminations.

Ils vivent la transphobie en tant qu’homme, et pour un certain nombre d’entre eux, vivent d’autres queerphobies en tant qu’homme, vivent le racisme en tant qu’homme, vivent le classisme en tant qu’homme, et vivent le validisme en tant qu’homme.

Une analyse de leur position sociale et de leur vécu qui ne lit leur masculinité que par le prisme d’un gain de statut social et de pouvoir n’est pas seulement fausse. Elle est violente car elle ne peut se faire que dans l’effacement de ces réalités.

Cela est vrai quand on parle des hommes en général, mais c’est vrai en particulier dans le cas des hommes trans dont le genre est très explicitement une cause de discrimination, de critique, de remise en question, et de violences et qui sont donc naturellement suspicieux des discours qui viennent encore une fois le scrutiniser et le diaboliser.

Lorsqu’on s’interroge sur la place des hommes trans dans le féminisme ou le patriarcat on ne peut pas faire l’économie de penser ces questions.

Et on ne peut pas non plus faire l’économie de reconnaître que, si nombre d’hommes trans défendent leur place dans les espaces féministes et féminins pour des raisons tout à fait critiquables, la dépendance à ces espaces est réelles pour nombre d’entre eux, et qu’on ne peut pas résoudre cette crise (si elle en est une) sans trouver des espaces qui sauront les accueillir et subvenir à leur besoins.

Il ne s’agit pas de nier le privilège qu’une transition transmasc est susceptible d’apporter dans de nombreux cas Au contraire, je pense qu’il est bon pour tout le monde de réaffirmer que, non, les hommes trans ne sont pas socialement une espèce de sous-groupe de femmes. Et il ne s’agit pas non plus de nier la misogynie qui peut naître de ce privilège ou être renforcée et permise par lui mais.

Mais tout ça ne change pas le fait que les hommes trans méritent la reconnaissance de leurs vécus de violences et un prisme d’analyse politique qui permet de faire sens de ces violences et d’y trouver des moyens de défense tout en continuant de réaffirmer, pour eux, la possibilité de leur transition.

L’essentialisation de la violence masculine n’aide personne d’autre que le patriarcat.

La polarisation des enjeux de genre comme un axe unique qui opposerait les femmes et les hommes et fait ainsi de ces deux groupes des ensembles homogènes qui se retrouvent résumés au vécu des membres les plus privilégiés au sein d’eux n’aide personne d’autre que le patriarcat, le colonialisme, le capitalisme, et le validisme.

Ce ne sont pas des outils pertinents et nous ne devrions pas être en train de les utiliser.

Outro

J’ai mis un mois à ne serait-ce que juste écrire le script de cette vidéo et Youtube c’est mon travail, donc c’est maintenant le moment où je vous rappelle l’existence de mon Patreon où vous trouverez du contenu exclusif et en avant-première, dont du contenu gratuit, donc n’hésitez pas à y faire un tour ! J’ai aussi une boutique sur laquelle il y a plein de choses comme des livres sur la liberté d’expression dans l’art, ou des stickers holographiques, ça dépend à quel point vous êtes encore en état de lire des trucs compliqués après cette vidéo, moi je vous avoue, pas des masses à ce stade.

Si vous avez des remarques, des questions, des témoignages, n’hésitez pas dans les commentaires je les dis toujours et j’y réponds si j’ai quelque chose d’intéressant à dire Vous pouvez aussi vous abonner et mettre un pouce bleu pour faire plaisir à l’algorithme, vous connaissez la chanson.

Sur ce, je vous souhaite une bonne fin de journée, et à la prochaine !

Annexes

  • [Vidéo sous-titrée, FR] La vidéo de  @videos2leo  « TRANS men are TR4SH ? les hommes trans sont-ils des ordures comme les autres ? » : https://www.youtube.com/watch?v=z0QuGM99nhw
  • [Vidéo sous-titrée, FR] Ma vidéo « Je ne me souviens plus de l’adolescente que j’étais : L’angle mort de la socialisation genrée » sur la manière dont nos expériences de socialisation genrée passées sont transformées par nos transitions : https://www.youtube.com/watch?v=7k6VuTYIOfE
  • [Vidéo, EN] La vidéo de  @FDSignifire  « The Dangerous Myths of Black Men’s Sexuality » sur (entre autres) les violences sexuelles à l’encontre des garçons et hommes Noirs : https://www.youtube.com/watch?v=RP1YI6Wi6gs
  • [Vidéo sous-titrée, FR] La vidéo de  @Yuffy  « PassingS & privilègeS [feat. @HParadoxa ] » : https://www.youtube.com/watch?v=6VQ9t1Ric9o
  • [Article, EN] L’article de Julia Serano « Penises, Privilege, and Feminist & LGBTQ+ Purity Politics » sur l’essentialisation de la masculinité comme une violence et son impacte sur les personnes queer notamment : https://juliaserano.medium.com/penises-privilege-and-feminist-lgbtq-purity-politics-bafd1f25fe3e
  • [Vidéo sous-titrée, FR] Ma vidéo « Je ne suis plus non-binaire. » sur l’évolution de mon rapport à mon genre, à la transition, et des réflexions sur le rapport à la masculinité des personnes transmasc : https://www.youtube.com/watch?v=uMdi6w0lA7I
  • [Articles, FR] L’article de Joao Gabriel « Combattre la racialisation des questions de genre et de sexualité à la racine » sur l’instrumentalisation des violences faites aux femmes à des fins racistes, et l’intersection de la masculinité et de la racialisation : https://joaogabriell.com/2016/11/18/combattre-la-racialisation-des-questions-de-genre-et-de-sexualite-a-la-racine/ . Il a aussi écrit « Devenir l’homme noir, repenser les expériences trans masculines au prisme de la question raciale » dans l’ouvrage collectif « Matérialisme trans » sur l’angle mort racial de l’idée que la transition des hommes trans est une promotion sociale.
  • [Article, FR] L’article de Jacques Boualem « Zemel » dans l’ouvrage collectif « Pédés » sur l’intersection entre homosexualité et arabité, et l’impact du racisme et de l’homophobie sur les hommes homosexuels arabes de France.
  • [Article, FR] L’article de Ruben Tayupo « Pas de frontières dans nos fiertés » dans le même ouvrage, sur les personnes LGBTI+ migrantes et son expérience au BAAM (Bureau d’Aide et d’Accompagnement des Migrants) dans sont soutien aux personnes LGBTI+ migrantes : https://baamasso.org/fr/pole-lgbtq/
  • [Article, EN] « The Report of the 2015 U.S. Transgender Survey » qui donne des statiques sur les personnes trans aux état-unis : https://transequality.org/sites/default/files/docs/usts/USTS-Full-Report-Dec17.pdf
  • [Chaîne YouTube, FR] Ta mère nature : https://www.youtube.com/@TaMereNature

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