Pourquoi l’état devrait-il payer pour nos transitions ?

Cet article est une retranscription de cette vidéo :


Bonjour et bienvenue sur ma chaîne, c’est Alistair, et aujourd’hui on va parler d’un truc cool pour une fois : on va parler d’autonomie corporelle.

Si vous me connaissez pas, bienvenue, je m’appelle Alistair, je suis un homme trans et handicapé, et sur cette chaîne je parle entre autres de ces thématiques-là.

Plus tôt cette année, j’avais mentionné vouloir faire une vidéo qui parle du lien et de la co-construction des violences faites aux personnes trans et des violences faites aux personnes handicapées, et ça avait l’air de plutôt vous botter comme idée, mais en essayant de l’écrire, je me suis rendu compte que j’avais beaucoup trop à dire sur le sujet pour que ça tienne dans une vidéo de taille un peu raisonnable et digeste, et du coup après avoir essayé plein de trucs (le script que vous entendez maintenant, c’est la troisième fois que j’essaie d’écrire cette vidéo) j’ai décidé de fractionner.

La dernière fois j’avais parlé de comment le conservatisme s’articule beaucoup autour de l’idée qu’il y a un état naturel du corps qui est bon et qu’il faut maintenir, sans assumer que cet état est en fait complètement culturel. Je ne vais pas reparler de ça dans cette vidéo, mais si le sujet vous intéresse, je vous la mets dans le i juste là.

Aujourd’hui, on va parler d’autonomie corporelle, donc, et de comment, pour moi, il est primordial d’appliquer cette idée de manière radicale si on veut défendre les droits, notamment des personnes trans et handicapées (c’est l’exemple que je vais utiliser le plus ici), mais plus généralement de tout le monde.

Partie 1 : L’autonomie corporelle, c’est quoi ?

Pour faire court, l’autonomie corporelle, c’est le droit pour toute personne de prendre les décisions qui concernent son propre corps.

Souvent on va en parler dans le cadre du féminisme, notamment autour du droit de choisir d’avoir ou non des rapports sexuels, et comment, le droit de choisir sa contraception, le droit à l’avortement, ce genre de choses, mais ça ne s’arrête pas là.

C’est une question qu’on va aussi beaucoup se poser dans un contexte médical (ou en tout cas, qu’on devrait se poser…) : le droit de choisir les médicaments que l’on prend ou pas, le droit d’accepter ou de refuser une proposition de traitement, le droit de consentir ou non aux actes médicaux auxquels on est sujet, ce genre de choses.

Mais aussi plus largement, ça va être le droit de choisir son apparence, sa coupe de cheveux, ses vêtements, d’avoir des tatouages, des piercings, de porter ou non des signes religieux, et puisque ça va être aussi le sujet de cette vidéo du coup, le droit à choisir son expression de genre et sa transition.

Ça va être aussi le droit de choisir comment on se nourrit, si et comment on fait du sport, et plus généralement comment on bouge, si et comment on laisse d’autres personnes toucher notre corps, interagir avec nous physiquement, tout ça.

L’autonomie corporel, c’est le droit de prendre toutes les décisions qui ont trait à notre corps, son traitement, son fonctionnement, et son apparence.

Mais en plus d’être le droit à toutes ces décisions, l’autonomie corporelle, en tout cas je pense, ça doit aussi être la capacité de prendre toutes ces décisions.

Et par capacité, ici, je ne veux pas dire capacité intellectuelle par exemple, parce que un des propos de cette vidéo c’est justement de dire que tout le monde doit avoir ce droit et doit être considéré comme en mesure d’exercer son autonomie corporelle, notamment les personnes handicapées, dont les personnes handicapées psy ou intellectuelles. Par capacité, je veux dire qu’on doit garantir aux personne les outils et les ressources qui permettent d’exercer ce droit.

Par exemple, je peux avoir le droit de choisir ma contraception, dans le sens où on ne peut pas m’interdire ou m’imposer une méthode ou une autre, ça ne suffira pas pour que je je puisse effectivement exercer ce droit. Si on me dit : « On peut pas vous forcer. » mais que je suis pas au courant de la moitié des options et que quand je dis : « Ben moi je veux ça. » on me répond : « Alors ça, ça existe, effectivement, mais nous on le fait pas. » je ne peux pas réellement choisir.

Le droit de faire un choix ne prend toute sa valeur que quand ce choix est effectivement faisable dans la pratique, et pas juste au niveau légal.

Maintenant qu’on a dit ça, on peut parler un peu de ce que ça veut dire « garantir le droit à l’autonomie corporelle », comment, et pourquoi.

Partie 2 : Faut-il protéger les gens d’eux-mêmes ?

La majorité des gens sont d’accord avec l’idée que chacun devrait avoir au moins un peu d’autonomie corporelle. Par exemple, j’ai jamais rencontré quelqu’un qui considère que tout le monde devrait vivre en uniforme 24h/24. D’une manière générale, on s’accorde à dire que les personnes peuvent choisir ce qu’elles portent… dans une certaine mesure. Parce que si le fait de penser qu’on devrait avoir aucun choix est très rare, le fait de penser que tout le monde devrait être complètement libre sur le sujet l’est aussi.

Il y a qu’à voir comment notre gouvernement pond une nouvelle circulaire sur les vêtements des femmes musulmanes tous les 6 mois pour s’en rendre compte. Cette histoire, c’est pas gagné.

La question c’est donc pas tant : « Pour ou contre l’autonomie corporelle ? » avec deux réponses uniques et absolues possibles, mais plutôt de savoir où on place le curseur de cette liberté-là dans chaque thématique, pour chaque personne, et selon quels critères.

Dans ce que je peux constater, les restrictions à l’autonomie corporelle sont souvent défendues autour de deux axes principaux. D’une part, le fait de protéger autrui, si on considère qu’en exerçant notre autonomie corporelle on peut mettre quelqu’un d’autre en danger, on en reparlera plus tard. Et de l’autre, le fait de protéger les personnes d’elles-même de mauvais choix qu’elles pourraient faire en exerçant leur autonomie corporelle dont on va parler maintenant.

Pourquoi protéger les gens d’eux-même ?

Une manière de répondre à cette question, c’est de considérer qu’on n’est pas en tant que société responsable de la sécurité individuelle de chacun, et de dire en substance : « On devrait laisser les gens faire n’importe quoi, et tant pis s’ils se mettent en danger ou sont blessés. C’est leur problème et il y a aucune raison d’essayer d’empêcher ça. »

Personnellement c’est pas une vision que je défends. Je pense que, à partir du moment où on vit en société, on est tous quand même un peu responsables les uns des autres, mais surtout, on influence tous les choix les uns des autres, qu’on le veuille ou non. On peut pas vraiment dire : « La personne a fait son choix, tous les autres y sont pour rien. » alors que, forcément, la personne a fait son choix en fonction des informations et des injonctions et des expériences qu’elle a eu du fait de la société et des gens autour d’elle.

Et donc, oui, on est tous en partie collectivement responsables des choix les uns des autres, et dans ce contexte, ça me paraît pas absurde de dire qu’il y a aussi une responsabilité collective à essayer de réduire les dommages que les autres peuvent se causer à eux-mêmes.

Comment protéger les gens d’eux-même ?

Une fois qu’on a dit ça, il y a un peu deux grandes manières d’essayer de réduire les risques que les gens se fassent du mal en exerçant leur autonomie corporelle : on peut réduire le droit à l’autonomie corporelle, ou on peut augmenter la capacité à exercer l’autonomie corporelle.

Je vais m’expliquer avec un exemple concret, promis ce sera plus clair.

Parlons usage de drogue.

Question : Est-ce que les gens devraient être libres de prendre de la drogue, même si ça peut leur faire du mal ?

Possibilité de réponse n°1, ce que je disais juste avant : « On s’en fout. Les gens font ce qu’ils veulent, c’est pas notre problème. »

Et donc, comme je disais, ça c’est pas une approche qui me parle tellement. Et même si là on pose la question du danger pour pour soi pas du danger pour les autres, ça reste une séparation à moitié frauduleuse parce que si je me mets moi en danger de mort par exemple je mets de facto tous mes proche dans un risque de deuil. Ça ne concerne pas que moi, et ça ne peut pas concerner que moi.

Possibilité de réponse n°2 : « On est en tant que société responsable de la sécurité de nos membres, donc on leur interdit l’usage de drogue parce que c’est trop dangereux. »

On est là sur une réponse par la limitation du droit à l’autonomie corporelle. On considère que, non, les gens n’ont pas un droit absolu à l’autonomie corporelle, et qu’il est légitime que par exemple l’État décide de poser des limites à ce que chacun et chacune a le droit de faire à son propre corps. Et donc si on considère collectivement qu’une pratique est trop dangereuse, on l’interdit.

Possibilité de réponse n°3 : « On est en tant que société responsable de la sécurité de nos membres, donc on va s’organiser pour leur donner plus de choix et d’information sur les drogues, pour être sûr que s’ils choisissent d’en prendre, ils le fassent en évaluant correctement les risques et en sachant comment les limiter. »

On est là sur une réponse de l’amélioration de la capacité à exercer l’autonomie corporelle. On n’intervient pas sur le droit des personnes à se mettre en danger, mais par contre, on fait en sorte qu’elles aient le plus d’outils possible pour comprendre et maîtriser ce danger-là.

C’est ce qu’on appelle dans le jargon « la réduction des risques ». On ne dit pas aux gens d’arrêter de se droguer, et à la place on leur explique plutôt comment limiter les risques d’infection, d’overdose, d’addiction, d’accident…, on leur donne des ressources pour arrêter la drogue s’ils le veulent, etc.

On va retrouver la même chose dans l’éducation sexuelle par exemple, où on peut favoriser le fait de ne pas interdire aux gens d’avoir des rapports sexuels, mais plutôt de s’assurer qu’ils connaissent bien les différents risques, les modes de transmission des IST, les protections qui existent, qu’il sachent quoi faire en cas d’infection ou de grossesse, etc.

Dans une perspective de défense de l’autonomie corporelle, cette troisième possibilité est la plus intéressante parce qu’elle ne limite pas le droit à l’autonomie corporelle contrairement à la seconde, et permet quand même d’agir collectivement pour la sécurité de chacun et de chacune contrairement à la première.

C’est une solution qui ne réduit pas le droit à l’autonomie corporelle, mais fait en sorte que son exercice se fasse dans les meilleures conditions possibles.

La réduction des risques, ça marche !

Et on constate aussi que, de fait, la réduction des risques c’est la solution la plus efficace pour effectivement réduire les conséquences négatives de certains exercices de l’autonomie corporelle.

On peut par exemple citer le Portugal, qui en 2001 a rendu légale la consommation de toutes les drogues et a vu son taux de VIH divisé par 18 dans la décennie qui a suivi, et a désormais un taux de décès liés aux drogues qui est bien inférieur à la moyenne européenne. A l’inverse, la France est un des pays qui pénalise le plus strictement la consommation de cannabis en Europe, et fait aussi partie des pays qui en consomment le plus.

Le cas du handicap

Pour en revenir au sujet qui nous intéressait à la base (même si, soit dit en passant, pour moi les addictions rentrent complètement dans le champ du handicap) dans le cas du handicap et de la médecine, on va avoir beaucoup de coercition et d’opacité dans le système.

C’est-à-dire en gros que les médecins sont mis en position de décider du traitement des patients sans les informer des différentes possibilités ou leur donner le choix, souvent sous couvert de : « C’est nous qui savons ce qui est bien pour vous. »

Alors qu’à la place de ça, il serait tout à fait possible de penser un système de soin où justement on transmet ce savoir-là pour que les patients puissent décider de l’option qui convient le mieux à leurs priorités.

Parce que oui, dans plein de cas, c’est pas une question d’efficacité, mais bien de priorité.

Par exemple, on va souvent forcer les personnes psychotiques à être sous antipsychotiques, alors que ce sont des traitements qui ne marchent pas du tout pour tout le monde et qui ont souvent des effets secondaires très sérieux. Donc la question n’est pas tant : « Est-ce que ça marche ? » ou en tout cas pas que, mais aussi de savoir quels sont les bénéfices et les inconvénients, et de déterminer ce qui, entre les bénéfices du traitement et les bénéfices de l’absence de traitement, est le plus important pour chaque personne à un moment donné.

Et ça, on ne peut le savoir qu’en donnant toutes les informations aux patients en parlant avec elleux et en les laissant décider à la fin.

Le cas de la transidentité

Dans le cas de la transidentité, on retrouve beaucoup cette question de : « Faut-il protéger les gens d’eux-mêmes ? » autour des regrets de transition qui sont utilisés pour justifier les conditions d’accès à la transition médicale.

Sous prétexte de protéger les personnes trans de choix qu’elles pourraient regretter, on va durcir les contraintes d’accès à la transition, imposer des délais, imposer un suivi psy, imposer des conditions à remplir pour avoir accès à transition, etc. etc.

Ces contraintes-là, d’une part elles vont évidemment réduire l’accès à la transition de personnes qui en ont réellement besoin ou envie, et c’est souvent le problème qui est dénoncé, mais elles sont aussi susceptibles d’aggraver les problèmes de regrets.

Par exemple, en conditionnant le fait de pouvoir faire une mammectomie au fait d’être sous hormone, comme ça a longtemps été le cas et comme c’est toujours le cas chez certains chirurgiens, on risque de pousser des personnes à prendre des hormones pour avoir accès à la chirurgie qu’elles veulent, alors qu’elles ne sont intéressées que par la chirurgie.

Autre exemple, si on sait qu’en exprimant des doutes ou des peurs sur la prise d’hormone, on risque de se voir refuser la demande de prescription, on est plus susceptible de cacher nos doutes et nos questions pour être sûr d’avoir accès au traitement. Alors que si on sait qu’on peut discuter sans filtre avec les médecins, et qu’à la fin on sera toujours laissé libre de la décision finale, on sera plus enclin à le faire, et donc à prendre des décisions qui sont mieux réfléchies.

La limitation des droits est dangereuse

Il ne s’agit pas de dire que les regrets ou les mauvaises décisions n’arrivent jamais quand les personnes exercent leur autonomie corporelle, évidemment c’est le cas. Mais plutôt, il s’agit de dire que la réponse à : « Comment faire en sorte que les les gens prennent moins de mauvaises décisions ? » c’est pas en leur interdisant les décisions que les institutions légales jugent mauvaises, et pour de multiples raisons.

D’une part, ça ouvre la porte à beaucoup de législation liberticides où on donne à une institution le pouvoir de décider plus ou moins unilatéralement ce qui est bon ou pas pour la population, ce qui évidemment peut-être utilisé à mauvais escient, ou tout simplement être complètement à côté de la plaque si l’institution en question évalue mal les besoins de la population et/ou qu’ils sont complexes et divers, et que du coup on peut pas trancher dans la même direction pour tout le monde, ce qui quand même arrive.

Et d’autre part, cela aggrave même souvent le problème parce que dans beaucoup de cas les populations ne vont pas soudainement cesser de faire les choses qui leur sont interdites, mais plutôt continuer de les faire sans le soutien des institutions si besoin (par exemple, sans soutien médical) et de manière clandestine, donc généralement plus dangereuse.

C’est quelque chose dont on parle beaucoup par exemple dans la lutte pour le droit à l’avortement parce qu’on sait que, quand l’avortement est interdit, de nombreuses personnes continuent d’avoter, mais mais juste dans des conditions d’hygiène dégradées, et donc sont mises en danger.

Dans ce contexte-là, les pratiques de réduction des risques sont bien plus efficaces parce qu’elles permettent une collaboration directe entre les ressources et les savoirs institutionnels, et les personnes concernées par les décisions, leurs ressources à elles, leurs priorités, leur expertise de leur propre expérience, etc. Et aussi parce qu’elles sont moins stigmatisantes et violentes, et qu’elles permettent effectivement de réduire les risques sans pour autant porter atteinte à la liberté des personnes.

Partie 3 : Faut-il protéger les gens les uns des autres ?

Le deuxième pôle de restriction de l’autonomie corporelle que je mentionnais tout à l’heure, c’est celui de la protection d’autrui. C’est-à-dire le fait de considérer que l’exercice par une personne de son autonomie corporelle est susceptible de mettre en danger d’autres personnes, et qu’il faut donc réduire l’accès à ce droit pour protéger les autres.

Un bon exemple de ça, c’est la question des maladies contagieuses.

Dans une perspective de défense d’un droit à l’autonomie corporelle absolue, on devrait considérer que se protéger ou non d’une maladie ou d’une autre est le choix de chacun. Si les gens ne veulent pas se protéger d’une maladie, c’est leur droit.

Le problème, c’est que choisir de se protéger ou non d’une maladie contagieuse, ce n’est pas seulement prendre la décision de si, personnellement, on veut prendre ce risque pour nous. C’est aussi choisir si on met ou pas les gens que l’on fréquente à risque d’être contaminé, puisque plus on a de chances d’être malade, plus on a de chances de contaminer les autres. Et les autres en question, ils n’ont généralement pas de choix que d’être exposé à ce risque si on le prend.

Par exemple, si une personne décide de ne pas se protéger du CoVID, elle augmente les chances de l’attraper. Ça à la rigueur, c’est son problème. Mais si moi je partage un espace avec elle, elle augmente aussi les risques de me le transmettre, et ça ça me regarde.

Dans ce cas, puisque le CoVID se transmet par le fait de respirer le même air qu’une personne infectée, je ne peux pas décider de juste ne pas respirer le même air que cette personne si elle se promène dans un supermarché ou un bus. De facto, en faisant ça, elle m’impose un risque médical que je ne veux pas prendre en ne se protégeant pas, et donc on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une décision strictement personnelle.

On se retrouve dans une situation où le fait qu’une personne exerce son autonomie corporelle (: « Elle ne veut pas se protéger. ») retire à une autre personne la possibilité d’exercer la sienne (: « Je veux me protéger.) puisqu’on est tous co-dépendants les uns des autres, et que nos choix vont immuablement impacter les gens autour de nous, qu’ils le veuillent ou non.

C’est pour ça qu’on parle de « santé publique ». La santé, c’est pas quelque chose que chacun peut gérer seul pour lui-même. La santé des uns impacte la santé des autres.

Notre santé est dépendante de la santé des autres, et notre santé est aussi dépendante de tout un tas de facteurs sur lesquels on n’a pas forcément prise en tant qu’individu, mais sur lesquels on a prise en tant que société, comme la pollution de l’air ou les normes d’hygiène dans la production de la nourriture par exemple. Ce sont des facteurs qui vont impacter ma santé, mais que je ne peux pas contrôler moi, qu’on contrôle en tant que groupe, et sur lesquels il faut donc que l’on prenne des décisions en tant que groupe pour se protéger les uns les autres.

De prime abord, on peut penser qu’une approche radicale de l’autonomie corporelle, qui dit que chacun devrait avoir un droit maximal à l’autonomie corporelle, est une position très individualiste. On peut penser qu’il s’agit de dire : « Chacun fait ce qu’il veut de son corps, personne n’intervient même pour aider. » Mais quand on regarde, même rapidement, les paramètres qui au quotidien impactent notre corps, on voit bien qu’il est impossible de considérer que chacun a le contrôle total et individuel de ce qui lui arrive, et que nous sommes en fait tous dépendants des décisions individuelles des autres, et des décisions prises collectivement.

Et prendre ça en compte, pour moi, ça fait partie du fait d’avoir une approche radicale de l’autonomie corporelle.

Il s’agit de dire chacun·e devrait être libre de faire ce ce qu’iel veut de son corps, et donc pour ça il faut que chacun·e participe à l’effort collectif d’essayer de créer un contexte le moins dangereux possible pour tout le monde, au sein duquel on sera du coup plus libre de faire nos propres choix sans craindre de se mettre en danger ou de mettre les autres en danger.

Typiquement dans l’exemple du CoVID, porter un masque c’est une question de notre autonomie corporelle, de notre droit à se protéger, mais c’est aussi protéger l’autonomie corporelle des autres en ne leur imposant pas un risque médical.

Et du coup, s’organiser collectivement pour encourager au maximum le port du du masque, c’est une action en faveur de l’autonomie corporelle de tous, malgré le fait qu’il s’agisse de pousser les gens à prendre une certaine décision corporelle.

Et dans cette démarche-là, la stratégie de réduction des risques a aussi sa place.

D’une part parce que tout est codépendant, donc par exemple en apprenant aux personnes à mieux maîtriser les risques qu’elles prennent vis-à-vis des infections sexuellement transmissibles, on limite aussi les risques qu’elles en transmettent à d’autres, mais aussi d’autre part parce que, on l’a déjà dit, la répression ne fonctionne pas.

Les gens ne sont pas fondamentalement contre l’idée de permettre à tout le monde de vivre en meilleure santé, surtout si ça leur bénéficie à eux aussi. Donc il est plus intéressant de comprendre pourquoi les personnes continuent de se mettre en danger et de mettre les autres en danger, et d’agir sur ces causes-là, que de les punir.

Par exemple, on lutte mieux contre les accidents de la route lié à l’alcool, qui sont aussi un bon exemple de comment l’autonomie corporelle des uns met en danger la vie des autres, en mettant en place des meilleurs transport en commun, plus accessibles, moins chers, plus fiables, nocturnes, etc., et en ayant des outils efficaces de prise en charge des addictions, plutôt qu’en disant aux gens : « Bah ça fera 135 € et 6 points de permis. »

Sur la question du port du masque, pareil. Je suis pas pour le fait qu’on ait des flics à chaque coin de rue qui mettent des amendes aux gens qui ne portent pas de masque. Par contre, je pense qu’il est urgent qu’on mette à disposition des masques à tout le monde, qu’on informe les gens sur pourquoi le port du masque est important et nécessaire, et qu’on mette en place les outils institutionnels qui permettent d’encourager le port du masque efficacement.

Même dans les cas où l’autonomie corporelle peut mettre en danger les autres, et où on peut considérer qu’une restriction de celle-ci est justifiée, les stratégies qui n’attaquent pas l’autonomie corporelle mais qui s’attellent plutôt à donner les ressources pour l’exercer moins dangereusement, restent efficace et nécessaire, à minima en complément des mesures restrictives.

Partie 4 : Et la tune dans tout ça ?

Comme je le disais dans la partie 1, on ne peut pas aborder la question de l’autonomie corporelle uniquement par le prisme du droit à faire des choix, mais on est obligé·es de se poser la question de la capacité à faire des choix. Et dans beaucoup de cas, un facteur primordial de cette capacité, c’est l’argent.

Par ailleurs, l’argent est aussi un sujet qui revient beaucoup dans la question de : « Et quand l’autonomie corporelle des uns pose problème aux autres ? »

Notamment par exemple dans la question des transitions, on va avoir tous les quatre matins quelqu’un qui débarque en disant : « Ohlala, c’est scandaleux, les trans on leur rembourse complètement leurs chirurgies pour leur délire, alors que les lunettes c’est super mal remboursé ! » (ce qui est de toute façon pas vrai mais c’est pas la question) ou alors : « Les gens qui fument c’est notre problème à tous parce que c’est nous qui payons pour soigner leur cancer après ! » etc.

L’argent est amené sous le prisme de : « Si le choix d’une personne coûte de l’argent à la collectivité, alors il est légitime soit de l’empêcher de faire ce choix, soit de ne pas participer financièrement à la résolution des conséquences. »

Et ces deux choses-là sont liées, puisqu’elles posent toutes les deux essentiellement la même question, à savoir : « Quand est-ce que la collectivité devrait payer pour que les gens puissent exercer leur autonomie corporelle, et quand est-ce qu’elle ne le devrait pas ? »

Et dans une approche radicale de l’autonomie corporelle, ma réponse est : la collectivité devrait toujours payer, parce que c’est le seul moyen de s’assurer que chaque personne puisse jouir au maximum de son autonomie corporelle.

Et si vous n’êtes pas convaincu·es, je vais vous donner quelques exemples pour clarifier pourquoi je prends cette position, mais vous allez voir, c’est beaucoup des choses qu’on a déjà dites dans cette vidéo.

Remboursement des soins post-pratique à risque

Pour l’exemple du tabagisme et du cancer : oui, je pense que la sécurité sociale devrait rembourser tous les soins, même ceux liés à des choix dont les personnes pouvaient prévoir qu’ils amèneraient à des problèmes de santé.

Comme je le disais dans la partie 2, en disant l’inverse on décide de facto que la sécurité sociale (ou plutôt les personnes en charge de légiférer sur le remboursement j’imagine) a le droit de décider ce qui est ou pas une bonne décision de vie. Parce qu’en réalité c’est ça la question, pas de savoir si des risques prévisibles ont été pris.

Si on disait pour de vrai : « Si tu prends des risques, tu payes. » dans ce cas on arrêterait aussi de rembourser les accouchements. Tu savais qu’en faisant un enfant tu aurais peut-être besoin de soins, donc c’est ton problème.

Si on dit : « Si tu prends des risques tu payes. » on ne rembourse pas les soins de cancer de la peau de toute personne qui n’a pas porté de crème solaire chaque jour de de sa vie.

On ne rembourse pas les victimes d’accidents de la route, même quand elles ont respecté le code de la route et qu’elles se sont fait renverser, parce que tu sais bien qu’en conduisant ou en traversant la route, tu prends des risques d’accident.

On est tous et toutes constamment en train de prendre des risques, c’est juste qu’on évalue quels sont les risques qui valent le coup et ceux qui ne le valent pas.

Militer pour le déremboursement des conséquences des pratiques à risque, c’est donner une très bonne raison pour que les législateurs, soit essaient de dérembourser un maximum de choses parce que tout est la conséquence de comportements à risque, soit de décider qu’est-ce qui est un bon risque et un mauvais risque selon leur propre vision de la moralité et de ce que la vie de chacun doit être, et dans tous les cas ça pue.

Remboursement des soins « de confort »

L’argument qui est souvent mis en avant contre le remboursement des transitions médicales, c’est de dire que la transition est un choix, une envie, pas un besoin, et que ce qui doit être remboursé ce sont les besoins médicaux.

Encore une fois ici on peut arguer que faire des enfants est un choix, et que donc tous les soins liés à la grossesse ne devraient pas être remboursés. Ou inversement, que ne pas faire d’enfant et vouloir baiser quand même est un choix, et que donc les contraceptions et les avortements ne devraient pas être remboursés.

Je reviens régulièrement sur cet exemple des droits reproductifs, et c’est pas pour choquer ou par hasard, mais c’est parce que c’est effectivement la conséquence directe du militantisme anti-trans. Il est intimement lié avec les milieux anti-avortement, et on voit bien notamment aux États-Unis que la criminalisation et de l’avortement et de la transidentité est simultanée et menée par les mêmes groupes.

Et ça, c’est pas un hasard. C’est parce que les discours transphobes sont construits autour d’une idée de l’autonomie corporelle qui mène aussi très directement à être anti-avortement.

Comme pour la question des risques, dire qu’on ne rembourse que ce qui est un besoin, c’est laisser décider à une institution ce dont les gens ont besoin ou pas, et ça va être inévitablement motivé idéologiquement.

Décider si la transition médicale c’est une envie ou un besoin, c’est forcément politique. C’est forcément basé sur la manière dont on conceptualise la transition, la dysphorie, les existences trans, et ce qu’on considère comme une vie qui vaut la peine d’être vécue. Ça ne ne peut pas être neutre, et une très bonne manière de ne pas avoir à trancher sur une question qui de toute façon n’a pas de réponse exacte, c’est de dire qu’on se fiche de la réponse, et qu’on rembourse dans tous les cas.

Cette question, elle est pas du tout étrangère au milieu du handicap non plus par ailleurs. Un bon exemple de ça, c’est le remboursement des fauteuils roulants.

Dans le cas des fauteuils roulants manuels, il existe deux grands types de fauteuils roulants. D’une part les fauteuils roulants qui sont faits pour être poussés par quelqu’un d’autre, et éventuellement se pousser un peu soi-même mais difficilement, qui coûtent environ 500 €, et les fauteuils qui sont faits pour se pousser soi-même et qui coûtent entre 2000 et 4000 € pour les entrée/milieux de gamme.

Et la sécurité sociale actuellement rembourse les fauteuils roulant à hauteur de 500 €.

Il y a évidemment plusieurs raisons à ça, mais l’une de ces raisons c’est qu’il s’agit de dire : « Les gens ont besoin d’un fauteuil roulant, donc on rembourse les fauteuils roulants, par contre le fait de pouvoir se déplacer en autonomie, ça c’est pas un besoin, c’est une envie, c’est du confort, et donc ça on rembourse pas.

Et cet argument de : « Non mais ça c’est pas un besoin médical, c’est du confort. » c’est quelque chose auquel on est constamment confronté·e quand on est handicapé·e. Un autre exemple ça peut être les transports en commun parisiens.

Le métro n’est pas accessible en fauteuil roulant et on nous dit : « Non mais il y a les bus ! Alors oui les trajets font 1h30 au lieu de 45 minutes, oui il y a plus de risque de bouchon et de panne, oui c’est plus cher, non tu peux pas avoir un chien, mais tout ça c’est du confort. Tu peux te déplacer, le besoin, on y a répondu. C’est suffisant. »

En refusant de rembourser le confort, on laisse les institutions décider de ce qui est nécessaire pour vivre une vie épanouissante (ou tout court), et de de ce qui est un caprice que la société ne nous doit pas et c’est notre problème que de réussir à l’obtenir. Et bien sûr, ces décisions là sont toujours biaisées.

Tout à l’heure, je parlais des gens qui comparent le remboursement des transitions et des lunettes, mais un exemple qui revient très souvent aussi, c’est les gens qui comparent le remboursement des transitions au laser pour la myopie.

Et typiquement, si le laser n’est pas remboursé, c’est bien parce que la sécurité sociale considère que les lunettes ça peut peut-être être un besoin (et encore) mais que le laser c’est une question de confort. Donc donc exactement la même raison pour laquelle les transitions médicales ne sont, en fait, pas très bien remboursées.

On voit bien que les personnes qui défendent le remboursement de l’un mais pas de l’autre sont dans un double standard, et considèrent qu’il y a un besoin qui est un réel besoin, et un besoin qui n’en est pas un. Pour quelle raison ? On ne sait pas.

En disant : « Que ce soit un besoin ou du confort, peu importe, chacun devrait avoir accès aux procédures médicales qu’iel souhaite gratuitement. » alors on retire la possibilité aux institutions d’appliquer ce genre de doubles standards et de retirer du champ des remboursements des choses dont les personnes ont effectivement besoin parce que les institutions ont des biais contre ces populations-là.

Et puis tout simplement, on augmente l’accès aux soins de tout le monde sans conditions, et ça c’est toujours bien.

Et donc oui, des fois que ce soit pas clair, je pense que toutes les chirurgie dite « esthétiques » devraient être prises en charge par la sécurité sociale. Je ne pense pas qu’aucune institution devrait avoir le pouvoir de décider à quel moment une personne souffre suffisamment pour avoir le droit de changer son corps, et je pense que toute personne qui le de demande devrait pouvoir le faire.

Le cas des vêtements et de la nourriture

Maintenant, vous allez peut-être me dire : « Mais Alistair, au début de la vidéo tu disais que choisir comment on s’habille ça fait aussi partie de l’autonomie corporelle. Est-ce que ça veut dire que tu penses que la sécurité sociale devrait rembourser le shopping ? » et je vous rassure, la réponse est non… enfin presque.

Je parle beaucoup du médical depuis tout à l’heure parce que c’est central dans ces enjeux de transidentité et de handicap, et parce qu’on parle de frais très élevés et qui du coup justifient et nécessitent un système de remboursement ou de gratuité.

Et oui je pense aussi que garantir l’autonomie corporelle, c’est garantir que tout le monde puisse choisir de s’habiller comme il le souhaite, de manger ce qu’il veut, de se faire tatouer s’il a envie, etc. etc., et pour ça, il faut de l’argent.

Alors non, je ne pense pas qu’il faut rembourser les vêtements ou la nourriture parce que ce serait un système absurde qui créerait des démarches et des frais inutiles. Mais un pilier central de la défense du droit à l’autonomie corporelle, c’est de s’assurer que chaque personne a des revenus suffisants pour faire ces choix-là, notamment en s’assurant que le SMIC et les minimas sociaux soient suffisamment élevés pour ça, ou encore mieux, en instaurant un revenu universel.

Défendre l’autonomie corporelle, ça passe aussi et beaucoup par le fait de s’assurer que chaque personne ne soit pas trop pauvre pour exercer la sienne, quelle que soit sa situation.

Et avant de finir cette partie, si vous êtes sur le point de dire : « D’accord Alistair, mais ça va coûter cher tout ça et l’argent ne pousse pas dans les arbres. » je vous répond tout de suite qu’en taxant 0,05 % de la fortune de Bernard Arnaud on peut financer 2,5 millions de mammectomie. Donc pas d’inquiétude, l’argent existe, il suffit d’aller le chercher.

Conclusion

Si vous ne deviez retenir qu’une seule chose de cette vidéo, c’est que, d’une manière générale, la meilleure manière d’améliorer les conditions de vie d’une population, c’est de lui donner les ressources de le faire.

Les démarches restrictives et punitives qui consistent à vouloir empêcher les gens d’être autonomes, que ce soit en leur interdisant certains choix ou en leur retirant les ressources qui leur permettraient de choisir, réduisent toujours leur opportunité de faire des bons choix, pour elles et pour les autres.

L’autonomie corporelle est évidemment quelque chose qui peut être exercé avec des conséquences néfaste, mais les meilleurs outils pour réduire ces risques sont d’améliorer la capacité des personnes à faire des choix, non pas de la réduire.

Les politiques qui visent à interdire certains choix mènent à des situations de marginalisation et de clandestinité qui sont dangereuses et tuent.

Les politiques qui visent à réduire l’accès à certaines aides en les réservant aux personnes qui sauront prouver que, aux yeux des décidants, elles en ont suffisamment besoin pour vivre, laisseront toujours sur le carreau les personnes dans des situations liminales, et les personnes dont les besoins réels sont niés.

Et en plus de ça, si je peux me permettre, tout le monde mérite d’être heureux et épanoui. On ne devrait pas en tant que société limiter notre objectif social à : « Ne pas laisser crever les gens. » Il est possible et souhaitable de dire que nous voulons collectivement garantir à tous, non seulement la vie, mais aussi l’épanouissement. Et qu’on ne devrait pas restreindre le soutien des individus par la communauté à la simple nécessité vitale, mais que l’on devrait aussi essayer de faire en sorte que tout le monde puisse être épanoui.

Et non ce n’est pas superficiel, naïf, ou utopique de vouloir ça.

Et oui on en a les moyens puisqu’il y a 280 milliards qui traînent dans les caisses de Bernard Arnaud.

Outro

Merci d’avoir regardé cette vidéo.

Comme d’habitude je vous rappelle l’existence de ma boutique en attendant la création du revenu universel, sur laquelle j’ai notamment des nouveaux stickers qui vont arriver, et de mon Patreon sur lequel je poste un peu de contenu exclusif et une FAQ mensuelle, ainsi que mes vidéo en avant-première.

Si vous avez des questions ou des remarques, n’hésitez surtout pas dans les commentaires je les lis tous.

Sur ce, je vous souhaite une bonne fin de journée, et à tout bientôt.

Annexes

Ma boutique : https://alistairh.fr/boutique/
Mon Patreon (dons mensuels + contenu exclusif) : https://www.patreon.com/hparadoxa
Tous mes liens (réseaux sociaux, contact…) : https://linktr.ee/hparadoxa

Sur le Portugal et la dépénalisation des drogues : https://www.francetvinfo.fr/sante/drogue-addictions/cannabis/au-portugal-la-depenalisation-des-drogues-est-un-succes_2511975.html
Sur la pénalisation du cannabis en France : https://www.euractiv.fr/section/sante/news/cannabis-lallemagne-legalise-la-france-penalise/
Le Collectif Winslow qui milite pour de l’information et des actions de santé publique autour du Covid : https://winslowsantepublique.wordpress.com/qui-sommes-nous/

Mon excellent T-shirt « real punks wear masks » vient de chez Freaks !
https://distro-freaks.com/collections/sapes-de-poseur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*