Peut-on changer de sexe ?

Cet article est une retranscription de cette vidéo :


Introduction

Bonjour et bienvenue sur ma chaîne, c’est Alistair, et aujourd’hui on va parler de sexe !

Non, pas celui-là, l’autre.

Pour celleux qui ne me connaîtrait pas, bonjour, je m’appelle Alistair, je suis un homme trans, et sur cette chaîne, entre autres choses, je fais du contenu de vulgarisation sur ce sujet-là. Pendant un temps, j’avais arrêté de parler de ça pour me centrer plus sur les thématiques de handicap sur lesquelles je fais pas mal de vidéos aussi, mais récemment je me suis remis à faire des vidéos sur la transidentité, et notamment sur la transition médicale, ce que je faisais pas du tout avant.

J’ai la chance d’avoir une communauté plutôt chouette et de pas trop circuler dans les milieux d’extrême droite etc., donc les commentaires sous mes vidéos sont relativement ok. Mais évidemment, il m’arrive quand même de recevoir des messages transphobes, et parmi ceux-là, un propos qu’on retrouve souvent c’est : « On ne peut pas changer de sexe. » Ce type de discours là, en tout cas moi personnellement, je le vois de plus en plus, et ça m’étonne pas tellement parce que c’est un des parangons de la rhétorique TERF, qui influence de plus en plus les discours conservateurs d’une manière générale.

« TERF », c’est l’acronyme pour : « Trans Exclusionary Radical Feminism » ou « Féminisme Radical Excluant des personnes Trans » en français. Je vais pas énormément détailler ce que c’est le mouvement TERF ici parce qu’il y en aurait pour des heures, mais je vous mets des vidéos sur le sujet dans la description si ça vous intéresse. Ce que vous pouvez retenir et qui sera suffisant pour comprendre cette vidéo aujourd’hui, c’est qu’il s’agit d’un mouvement anti-trans avec un certain nombre de points rhétoriques et idéologiques qu’on va retrouver plus ou moins à chaque fois, dont la vision du sexe dont je vais parler aujourd’hui.

Tout cela étant dit, je pense que du coup : « Est-ce qu’on peut changer de sexe ? » mais aussi « Ça veut dire quoi changer de sexe ? » et « C’est quoi le sexe ? » sont des questions intéressantes à adresser si on veut parler de transidentité et de transphobie aujourd’hui puisqu’elles sont de plus en plus visibles, et c’est ce qu’on va faire dans cette vidéo.

Pour moi, il y a deux grandes choses à dire sur ce sujet :

Il y a d’une part de l’information à faire sur ce que c’est réellement la transition médicale, et ce que ça fait au corps, parce que je pense que dans le lot de toutes les personnes qui pensent ou disent de manière plus ou moins explicite : « On ne peut pas changer de sexe. » il y a des personnes lambda dont juste les croyances sur la biologie humaine sont fausses et qui mécomprennent vraiment le fonctionnement de la transition médicale. Je pense pas que l’intégralité de ces personnes vont cesser d’être transphobe si on leur donne des informations parce que la violence et les discriminations ce n’est pas juste basé sur l’ignorance, mais ça aide pas. Et ça me paraît important d’expliquer tout ça à minima pour les personnes qui ont réellement envie de comprendre.

Et d’autre part il y a la définition et l’utilisation du concept de sexe dans les idéologies conservatrices en général et TERFs en particulier, qui s’articulent autour d’une croyance que les corps ont une nature et un objectif intrinsèque, indépendamment de leur matérialité réelle. C’est peut-être pas très clair pour l’instant, mais promis je vais tout vous expliquer avec des exemples, c’est le sujet de la vidéo, pas de panique !

Avertissement de contenu

Petit disclaimer avant de commencer : cette vidéo parle d’intersexophobie, cette vidéo parle de transphobie, cette vidéo parle de racisme, notamment envers les personnes noires, dont d’esclavagisme. Il n’y a pas d’images ou de descriptions graphiques, mais je vais en parler pendant 20 minutes, je vais citer des propos plus ou moins violents, donc voilà.

Vous regardez, vous regardez pas, c’est vous qui voyez.

Partie 1 : Transition médicale et changement de sexe

Question 1 : Mais qu’est ce que c’est, le sexe ?

Bon. Je vous le dis tout de suite pour éviter les déceptions, il n’y a pas de réponse absolue à cette question, et en plus en vrai je m’en fous. Mais on va quand même y réfléchir deux minutes.

Pourquoi je dis qu’il y a pas de réponse définitive ?

Le fait est une bonne partie de pourquoi il y a débat sur la réponse à cette question, c’est que tout le monde n’utilise pas la même définition du mot sexe. Donc on peut à minima s’accorder sur le fait qu’il y a plusieurs définitions qui cohabitent actuellement dans la société.

Personnellement, ça ne me paraît pas possible de trancher sur quelle est « la vraie définition » parce que les mots n’ont pas une définition intrinsèque donnée par une entité supérieure et si tu utilises pas celle là c’est toi qui a tort. Les mots ont le sens qu’on leur donne quand on les utilise, c’est bien pour ça que les définitions évoluent avec le temps et avec l’usage. Donc peut-être que certaines définitions sont « mauvaises » dans le sens où elles amènent à une manière de penser le sujet qui est néfaste, mais elles ne sont pas nécessairement « fausses » à proprement parler.

En plus de ça, il y a le fait que pas mal de ces définitions sont nébuleuses.

En général, les différentes définitions vont baser le sexe d’un individu sur une ou plusieurs caractéristiques : les organes génitaux externes, internes, les chromosomes, les hormones sexuelles, les gamètes produites, éventuellement les caractères sexuels secondaires, etc. Et souvent il va y avoir une place laissée à l’approximation.

Par exemple, on voit bien que la majorité des personnes qui disent : « Être femme (ou être femelle) ça veut dire pouvoir être enceinte. » ne considèrent pas que les femmes stériles ne sont pas des femmes ou ne sont pas femelles. La majeure partie du temps, même les personnes qui prétendent comme ça avoir une définition du sexe qui serait précise et quantifiable ne croient pas en leur propre définition, et n’appliquent pas leur propre définition.

Souvent il va plutôt en réalité s’agir de dire : « Les femelles devraient avoir toutes ses caractéristiques-là, mais en même temps si c’est pas exactement ça elles sont femelles quand même, mais il faut pas trop diverger non plus. » Et à partir de là, quelles sont les caractéristiques qui comptent et à quel point, et où est la limite à partir de laquelle la divergence va être considérée comme trop grande, changent suivant les personnes et les contextes.

Et pour être très clair, je dis pas que je suis d’accord avec tout ça, je dis juste que c’est la manière dont la société traite le sujet en général.

C’est notamment ça qu’on dit quand on dit que le sexe est une construction sociale.

Ça veut pas dire qu’il n’y a pas de différences biologiques d’un individu à l’autre, ça veut dire que la manière dont on catégorise ces différences et dont on définit ces catégories est une conceptualisation. Il y a des corps divers qui existent, et sur cette diversité on va apposer un langage, des idées, et une catégorisation qui ont leur subjectivité. Et on le voit notamment dans le fait que les limites de ces idées ne sont jamais très claires.

C’est aussi en partie pour ça que l’intersexuation, ce n’est pas, ou pas que, un phénomène biologique.

Pour les personnes qui n’en auraient jamais entendu parler, les personnes intersexes sont des personnes qui sont nées et/ou ont développé spontanément au cours de leur vie des caractères sexuels qui ne rentrent pas dans ce qu’on va considérer comme strictement mâle ou femelle. Et souvent, quand les gens parlent du sujet, ils abordent ça avec un angle strictement biologique de type : « Naturellement, il y a des mâles et des femelles, et des exceptions qui sont ni l’un ni l’autre. »

Mais c’est important de comprendre, comme je le disais juste avant, que la limite entre « Là il y a quelques divergences, mais on va considérer que c’est femelle quand même. » et « Là non, c’est trop, c’est une personne intersexe. » ce n’est pas une limite naturelle. C’est une limite conceptuelle. Et on le voit bien notamment dans le fait qu’elle se déplace et que tout le monde ne la pose pas au même endroit.

Note : Je parle ici principallement de la défiition de « femelle » ou « femme », parce que c’est généralement là que ce concentre les discours conservateurs, mais la même chose est valable pour « mâle » ou « homme ».

Par exemple, depuis une bonne dizaine d’années, des législations font leur apparition dans le milieu du sport féminin sur le taux de testostérone maximum autorisé dans le sang des sportives. On parle pas de dopage ici, on parle des taux hormonaux naturels des compétitrices.

L’objectif, c’est de bannir certaines coureuses intersexes dont on considère qu’elles auraient un « avantage biologique » dans la course. (Ce qui est déjà complètement con, parce que le principe même d’une compétition sportive, c’est qu’il y a des gens qui sont meilleurs que d’autres. Et oui, en général, c’est en partie parce que leur corps est fait comme ça. Aux dernières nouvelles, on ne bannit pas les meufs qui font plus d’1m80, et pourtant je pense que ça les aide quand elles font du saut en longueur ou du basket.)

Typiquement ici, on est dans une situation où un groupe de gens a pour objectif de déterminer où est la limite entre suffisamment femelle et intersexe. Et on voit bien qu’il ne s’agit pas d’une limite naturelle mais d’une limite socialement construite, puisqu’ils ne sont pas tous d’accord du tout.

La réglementation de 2011 de l’IAAF fixe ce taux maximum à 10 nmol/L, mais en 2013 le gouvernement indien fixe lui cette limite à 2 nmol/L, ce qui est quand même 5 fois moins. Puis l’IAAF a changé d’avis en 2018 pour passer la limite à 5 nmol/L, vous voyez l’idée.

Note : L’IAAF s’appellait comme ça à l’époque, mais s’appelle World Atheltics depuis 2019. Il s’agit de l’organisme en charge des compétitions internationales d’athlétisme.

A cet endroit, il ne s’agit pas du tout de décrire une réalité naturelle qui serait constituée intrinsèquement de deux groupes distincts et différents. Il s’agit de placer une limite choisie et construite sur un spectre de possibles, entre ce qu’on considère comme suffisamment normé et féminin, et pas.

Je vais pas avoir la place de beaucoup développer ça ici, mais je pense que c’est quand même important de noter que ces contrôle-là sont infligés de manière disproportionnée aux femmes noires parce que les limites avec laquelle on cadre la définition du sexe ne sont pas seulement influencées par l’intersexophobie et la transphobie, mais aussi entre autres beaucoup par le racisme.

Aux Jeux Olympiques de 2016 notamment, le 800 mètres féminin avait été gagné par trois femmes noires, avec Caster Semenya en première place, qui est une femme intersexe qui est une des personnes qui est principalement visée par les législations dont je parlais juste avant et qui a été en procès contre l’IAAF pour ça. Et la coureuse qui était arrivée cinquième, Joanna Jóźwik, a dit que pour elle elle était arrivée deuxième parce que les athlètes sur le podium avaient « des taux hormonaux d’homme » et que c’est pour ça qu’elles « ressemblent à ce qu’elles ressemblent et courent comme elles courent. » Jóźwik a ajouté au même moment qu’elle était fière d’être l’européenne la plus rapide de la course, ainsi que d’être la deuxième blanche de la course. Ca dit quand même quelque chose, et ce n’est pas du tout anodin dans un contexte où le racisme a souvent tendance à masculiniser les femmes noires, voilà.

Ce qui est important de retenir, c’est que personne ne peut dire : « Être femelle c’est correspondre à tel et tel critère strict et quantifiable. » de manière absolue et vraie, parce que la diversité de configuration de caractères sexuels que l’on retrouve dans l’espèce humaine fait qu’il n’est pas possible de faire ça sans un moment devoir choisir l’endroit où on trace la ligne. Et, ce choix-là, c’est toujours un choix et jamais une limite naturelle qui ferait que magiquement si tu as un certain taux hormonal tu es complètement femelle mais si on rajoute 0,01 nmol/L de testostérone dans ton sang, d’un coup plus du tout.

C’est aussi pour ça que ça m’intéresse pas trop de répondre à la question : « C’est quoi le sexe ? »

Parce qu’il y a pas de vrai et bonne réponse, déjà, mais aussi parce que bien souvent cette question est posée avec l’intention de forcer à produire une définition qui serait strictement biologique, de l’ordre de : « Il faut correspondre à tel et tel critère biologique quantifiable pour être de tel sexe. » Tout en niant que le fait même de produire cette définition et de prendre la décision d’établir cette liste de critères fait du sexe quelque chose de social et construit, et pas seulement biologique.

C’est une question qui a vocation à rendre le sujet du sexe uniquement biologique, et il ne l’est pas, il ne peut pas l’être, et je n’ai pas envie de jouer ce jeu-là.

Pour moi, il est plus intéressant de considérer que le sexe est une notion qui englobe l’ensemble de ces caractéristiques biologiques-là et le traitement qu’on en fait socialement et culturellement. Et du coup la question : « Peut-on changer de sexe ? » ne veut plus dire : « Peut-on être mâle et devenir femelle ? » ou « Peut-on être femelle et devenir mâle ? », en considérant que le sexe est une question avec deux catégories clairement délimitées et homogènes en leur sein. Mais plutôt : « Quels sont les différents paramètres sexuels ? Peuvent-ils changer ? Et si oui, dans quelle mesure ? » Et c’est exactement de ça dont on va parler maintenant !

Question 2 : Comment la transition médicale change-t-elle le sexe ?

Une des grosses mécompréhensions sur la transition médicale, et qui m’est devenue de plus en plus évidente au fur et à mesure que j’avançais dans la mienne, c’est la conviction que les corps humain mâles et femelles sont si fondamentalement différents que la transition médicale ne peut être qu’un changement cosmétique. Je vais bien sûr expliquer ce que je vais dire par là.

Quand j’ai commencé a prendre de la testostérone, plusieurs personnes de mon entourage m’ont demandé ce que ça allait avoir comme effet, ce à quoi on pouvait s’attendre. Et quand j’expliquais que c’était exactement la même chose qu’une puberté naturelle sous testostérone, que ça allait avoir sur moi le même effet que ce que vit un adolescent cis et dyadique, certaines perssonnes avaient vraiment du mal à croire que ce n’était pas une exagération.

Note : « cis » désigne une personne qui n’est pas trans, et « dyadique », une personne qui n’est pas intersexe.

Par exemple, j’ai vu des personnes présumer que c’était pas possible pour un homme trans d’avoir une « vraie » barbe complète. Que oui ok, ça allait sûrement augmenter la pilosité, mais quand même pas à ce point-là. La croyance qu’il y a derrière cette idée, c’est que mon corps aurait une différence fondamentale dans sa capacité à produire des poils par rapport à un garçon cis prépubère, et que donc même avec les mêmes hormones il ne pourrait pas produire le même résultat. Et c’est pas vrai. C’est juste… pas vrai.

C’est pas vrai pour les poils, et c’est pas vrai pour la majorité des caractères sexuels.

Si on veut prendre un exemple similaire du côté transféminin de la force, pareil, on voit que beaucoup de personnes pensent que les femmes trans ne peuvent pas développer de seins, ou que si elles le peuvent, la pousse sera minimale, que dans tous les cas elle ne pourront pas avoir beaucoup de poitrine. Et encore une fois, c’est complètement faux.

J’imagine que comme pour tout il peut y avoir des exceptions, (C’est le cas pour les poils aussi, il y a des personnes qui ont de l’alopécie. Mais ça peut concerner aussi les personnes cis.) mais l’immense majorité des gens ont des glandes mammaires, peu importe leur sexe. Et si elles reçoivent des hormones qui stimulent le développement des glandes mammaires, elles se développent, c’est aussi simple que ça.

Pour la grande majorité des caractéristiques sexuelles, tous les corps humain possèdent la capacité de se développer d’une manière ou d’une autre, de fonctionner d’une manière ou d’une autre. C’est juste que ce potentiel là ne va pas s’exprimer de la même manière suivant les hormones présentes dans le corps. Et comme le corps est tout le temps en train de se construire, que les cellules sont tout le temps en train de mourir et de naître, si les matériaux que l’on donne au corps pour se construire changent, alors le corps change.

Mon corps n’est pas au courant qu’il a été femelle à un moment donné. L’état dans lequel il est, c’est qu’il y a de la testostérone dedans, et donc ce qu’il fait ce qu’un corps fait quand il y a de la testostérone dedans, et il a tous les outils pour le faire.

Note : Tous les corps ont de la testostérone. Je parle bien sûr des niveaux de testostérone qui sont les miens du fait du traitement hormonal !

Quand je dis que beaucoup de personnes s’imaginent que les traitements hormonaux ne provoquent que des changements cosmétiques, c’est ça que je veux dire. Il y a l’idée que, oui, ça peut changer certaines choses en surface, ça peut changer l’apparence peut-être, mais ça ne change pas la nature profonde du corps, et donc ça ne change pas le sexe.

Dans les faits, les hormones présentes dans le corps des personnes trans qui transitionnent médicalement sont chimiquement identiques à celles qui sont dans le corps des personnes cis. Et parce que les corps humain mâles et femelles n’ont quasiment aucunes différences dans leur constitution, mais seulement dans comment des organes qui sont là de toute façon se développent ou pas, et comment il fonctionne du fait des hormones qui leur sont données, il est tout à fait possible de changer la majorité des caractéristiques sexuelles, et c’est même plutôt facile, biologiquement parlant.

Un exemple que j’aime bien pour parler de ça aussi, c’est celui de l’odeur. Pour moi en tout cas, mon odeur corporelle a changé de manière notable dans les jours qui ont suivi ma première injection d’hormones. Et c’est logique parce que mon corps n’a pas un stock de transpiration et d’autres sécrétions corporelles en rab dans un coin. Ce sont des matières qui sont produites spontanément au moment où il y en a besoin, et donc elles sont produites avec les ressources qu’il y a dans le corps à cet instant-là. Et donc ce processus-là se fait comme dans n’importe quel corps avec le même profil hormonal, c’est tout.

C’est aussi un des grands enjeux du débat : « Est-ce que c’est transphobes de pas vouloir coucher avec des personnes trans ? » dans lequel je vais pas rentrer en détail parce que c’est pas le sujet, mais pour moi un des facteurs qui fait que les personnes cis voient ça comme impensable, c’est le fait qu’elles voient les hommes trans au mieux comme des hommes avec des corps de femme, et les femmes trans au mieux comme des femmes avec des corps d’hommes. Et dans la grande majorité des cas, c’est pas vrai. Et oui, même au niveau génital puisque c’est souvent la question.

En dehors des chirurgies, qui sont quand même déjà à prendre en compte, un homme trans sous hormones n’a généralement pas les mêmes parties génitales qu’une femme cis dyadique. Et de la même manière, une femme trans sous hormones n’a généralement pas les mêmes parties génitales qu’un homme cis dyadique. Ça ne fonctionne pas pareil, ça n’a souvent pas le même aspect, ça n’a pas la même odeur, ça n’a pas le même goût… ce n’est pas la même chose.

Alors certes, si on définit le sexe comme juste les chromosomes par exemple, je n’ai pas changé de chromosome en transitionnant. C’est vrai.

Mais aussi je pense que toute personne qui est capable d’affirmer que malgré le fait que la quasi-totalité de mes caractères sexuels aient changés, comme mes chromosomes sont les mêmes mon corps est en fait identique à ce qu’il était avant les hormones, est complètement hypocrite et manifestement prête à défendre n’importe quel affirmation en laquelle elle ne croit peut-être même pas pour faire comme si son idéologie était cohérente, et que, probablement, il ne vaut pas le coup d’intégrer cette personne à cette discussion.

Non, le corps des hommes trans qui transitionnent médicalement n’est pas 100% identique à celui des hommes cis. Mais vous savez à quoi il est encore moins identique ? A celui des femmes cis. Et idem dans l’autre sens pour les femmes trans.

C’est juste que comme beaucoup de gens voient le sexe comme un paramètre unique qui doit être soit mâle soit femelle, et non pas comme un ensemble de paramètres dont les configurations et les assemblements peuvent être variés, ils vont considérer que certainement si tu n’es pas complètement identique au corps des personnes cis de ton genre de transition alors tu dois être complètement dans l’autre catégorie, peut-être avec une petite variation.

Et cette vision-là échoue à considérer la possibilité de configurations sexuelles autres que ces deux pôles, qui pourtant existent, et qui sont là où se trouve la majorité des personnes trans, et en plus, souvent, en étant quand même plus près de leur genre de transition que de leur genre assigné.

Si changer de sexe veut dire : « Passer d’un corps d’homme cis dyadique à un corps de femme cis dyadique. », non changer de sexe n’est pas possible. Mais le problème ici réside plus dans le sens donné à la question, qui restreint énormément (et volontairement) les possibilités de réponse, que dans la réponse elle-même.

Le fait que ce changement-là précis ne soit pas possible n’enlève rien au fait que beaucoup de changement se passe dans le corps des personnes trans, et pas seulement en surface, mais réellement dans leurs fonctions biologiques, et que leurs caractères sexuels se retrouvent tous changés ou presque.

Maintenant, vous appelez ça comme vous voulez, mais moi j’appelle ça changer de sexe.

Partie 2 : Le sexe selon les TERFs

Beaucoup de gens pensent que les personnes trans sont en réalité « biologiquement de leur sexe de départ », c’est ce dont je parlais juste avant.

Cette croyance-là, elle ne va pas forcément avec un déni total de leur genre. Par exemple, il y a des gens qui vont considérer que les hommes trans sont « femelles » ou « biologiquement femmes », mais que ce sont quand même des hommes. Ça pose beaucoup de problème, et ça reste pas vrai, mais dans beaucoup de cas, à mon avis, il s’agit au moins en partie d’une réelle méconnaissance des corps trans, de la biologie de la transition médicale, et de la biologie humaine d’une manière générale.

Je pense que beaucoup de gens ont été éduqués dans l’idée d’une dichotomie sexuelle très stricte et séparée, et ont sincèrement du mal à croire que le passage de l’un à l’autre soit faisable, même si c’est le cas. C’est pour ça que j’ai fait la première partie de cette vidéo. Je pense que ce sont des informations qui manquent réellement à un certain nombre de gens, et dont on bénéficieraient toustes d’avoir plus conscience.

Cela étant, je pense aussi que c’est une erreur de croire que toutes les personnes qui pensent qu’on ne peut pas changer de sexe le pense pour cette raison-là, et c’est aussi pour ça qu’expliquer ces faits ne permettra jamais de convaincre tout le monde.

Une autre chose qui se passe dans ces discours, c’est un des fondements des idéologies conservatrices sur plein de sujets, et c’est la croyance en le fait que les personnes ont une valeur intrinsèque et une raison d’être intrinsèque qui n’est ni le fait de leur naissance ou de leur réalité matérielle, ni le fait de leurs choix de vie. Évidemment je vais m’expliquer.

Si vous ne le saviez pas, depuis quelques années et notamment sous l’impulsion des mouvements TERFs, les États-Unis ont voté de nombreuses lois anti-trans. Et notamment parmi celles-ci, plusieurs états ont rendu illégales les transitions médicales pour les mineurs trans.

En théorie, ces lois devraient aussi avoir comme effet de bannir les mutilations et les traitements imposés aux enfants intersexes, qui dans beaucoup d’endroits, y compris en France, sont souvent opérés et/ou mis sous hormones contre leur gré pour « binariser » leur sexe, indépendamment d’un besoin médical et même souvent au détriment de leur santé. Mais dans les faits, on constate que dans de nombreux cas ces lois incluent des paragraphes pour créer une exception pour les mineurs intersexes. Il devient alors illégal de permettre aux ado trans de prendre des traitements hormonaux s’ils le veulent, mais il reste légal de les imposer aux ados et aux enfants intersexes.

Ce phénomène là, il est l’image parfaite qu’il ne s’agit pas réellement d’avoir un problème avec l’usage des traitements hormonaux, notamment sur les mineurs. Mais qu’il s’agit bien plutôt d’une vision idéologique de ce que le corps doit ou ne doit pas être.

Dans cette vision des choses, il est inacceptable que le sexe soit changé pour dévier de la norme, mais il est acceptable, et même souhaitable, de le changer s’il s’agit de le « normaliser », et ce peu importe les conséquences et le consentement de la personne en question.

La coexistence dans les arguments transphobes en général et TERFs en particuliers, et d’un soutien des mutilations et des traitements imposés aux personnes intersexes, et d’une croyance ou en tout cas d’une affirmation que la transition médicale ne peut pas changer le sexe, nous informe sur le fait que le sexe, pour ces personnes-là, n’est, quoi qu’elles en disent, pas du tout une question biologique.

Si on considère d’une part que ce n’est pas la manière dont notre corps est né et dont il se développe spontanément qui détermine notre sexe, puisqu’on considère qu’il faut modifier le corps des personnes intersexes pour le corriger, mais que le corps que l’on a actuellement n’est pas non plus celui qui détermine ça, puisque les personnes qui ont transitionné médicalement seraient quand même du même sexe qu’avant leur transition, alors le sexe n’a rien à voir avec le corps. Il a seulement avoir avec l’idée de ce que le corps est censé être.

« Tu seras toujours une femme. » ça ne veut pas vraiment dire : « Tu auras toujours les caractéristiques biologiques que j’associe aux femmes. » Ça veut surtout dire : « Tu es censée être une femme, et donc peu importe le corps que tu as, tu restes une femme quoi qu’il en soit, et donc il faut faire en sorte que tu obtiennes ou que tu gardes un corps de « vraie femme ». » Et tout réside dans ce concept de « censé·e ».

Être « censé·e » être quelque chose ou avoir une certaine fonction implique une volonté. Si je fabrique une machine, je lui prévois un usage, et si elle ne fait pas ce que je veux je peux dire : « Ah, c’était pas censé faire ça. » Mais ce propos, il n’a de sens que parce qu’il y avait une intention originelle de ma part.

Dire que le corps est « censé » être d’une certaine manière indépendamment de ce que la nature produit spontanément et de ce que les gens choisissent de faire de leur corps, c’est extrêmement idéologique. C’est considérer que chaque corps a un objectif et une raison d’être, et que cet objectif n’est pas fixé par la personne à qui le corps appartient.

Cette croyance-là, elle est au cœur de la manière dont les pensées conservatrices s’organisent.

On n’est pas ce avec quoi on est né·e, puisque ça peut être vu comme une anomalie à corriger, et on n’est pas non plus les choix que l’on fait et leurs conséquences, puisque ceux-ci peuvent être vus comme une tentative de fuir notre vraie nature qui est inévitable. Et vous vous en doutez, la vraie nature en question, elle est souvent comme par hasard celle qui arrange les personnes qui ont du pouvoir sur nous justement grâce à cette nature-là.

C’est entre autres pour ça qu’on retrouve beaucoup de liens entre les milieux anti-trans et les milieux anti-IVG par exemple.

« Tu es censée être une femme. Tu es censée porter des enfants. Tu es censée vouloir des enfants. C’est dans ta nature. Et même s’il s’avère que tu n’as pas d’enfants ou que tu ne veux pas d’enfants, cela ne change rien au fait que c’est dans ta nature, et donc il faut soit te convaincre, soit te forcer, à en avoir. »

On retrouve la même chose dans le racisme, où par exemple aux États-Unis avant l’abolition de l’esclavage, un psychiatre blanc avait inventé un diagnostic pour qualifier les personnes noires qui voulaient fuir l’esclavage. L’idée était de faire passer l’esclavage comme quelque chose de naturel, en disant qu’il était dans la nature des personnes noires d’être des esclaves, et que donc si elle ne voulait pas ça, elles devaient avoir un trouble psychiatrique qui les poussait à contrevenir à leur vraie nature.

Le sujet de cette vidéo, c’est comment ce mécanisme-là s’applique au sexe, mais on voit bien que ce n’est pas du tout unique à cette thématique.

Les idéologies conservatrices se targuent souvent de vouloir être du côté de la rationalité, du fait, du concret, et pas des utopies. On le voit notamment avec Ben Shapiro et son célèbre : « Facts don’t care about your feelings. », les faits se fichent de tes émotions. Mais quand on observe les faits en question, on voit que c’est précisément comme ça fonctionne ces idéologies : en faisant passer leurs objectifs et leurs désir pour des faits.

Une fois qu’un objectif est fixé, comme réduire les populations noires en esclavage, ou forcer les femmes à faire toute une ribambelle de gamins, ou éradiquer les personnes trans et intersexes de la surface de la Terre, on s’attelle à faire passer cet objectif pour un fait en prétendant que c’est « l’état naturel des choses ». C’est ce qui est « censé » se passer, et donc il faut s’atteler à le protéger et/ou à le reconstruire.

Et s’il s’avère que, dans les faits, cet état là n’a jamais existé (Il y a toujours eu une diversité sexuelle), qu’il est impossible à atteindre (On ne peut pas empêcher cette diversité d’arriver, juste la punir quand elle le fait.), ou que des personnes soient tout à fait en accord et confortable avec quelque chose qui va à l’encontre de ce fait (Les personnes trans et intersexes sont généralement plus épanouies quand on leur laisse faire le choix avec leur corps, quel que soit ce choix.) ça ne change rien au postulat de départ, parce que cet état est défini dès le début comme naturel et plus fort que tout.

C’est dans la définition même de l’idée qu’elle est juste, et que tout ce qui va contre ne peut pas être une preuve qu’elle est fausse, mais est juste la preuve qu’il y a des phénomènes et des choix qui sont « contre nature » (le fameux) et qu’il faut combattre.

Je serai toujours une femme dans la tête des conservateurs et des TERFs, mais ça n’a rien à voir avec mon corps. C’est parce que pour elle eux je suis « censé » être une femme. C’est intrinsèquement dans ma nature d’être une femme. Et comme cette nature n’est basée sur rien d’autre qu’elle-même, elle est impossible à changer ou à contredire.

Et c’est pour ça que ça n’a aucun intérêt de débattre avec des gens qui adhèrent à cette idéologie.

Encore une fois, je pense que c’est important de parler de biologie trans parce qu’il y a des réels incompréhensions et une réelle ignorance à ce niveau-là, et que ces connaissances-là, je pense, elle nous bénéficie à toustes lorsqu’elles sont connues.

Pour autant, il est aussi important de ne pas croire que les arguments biologiques avancés par les conservateurs sont sincères, et qu’avec les bonnes informations scientifiques sur le sujet leur position va évoluer, parce que ce n’est pas la question. Nos deux TERFs les plus connus en France elles sont potes avec un mec qui prétend soigner le cancer avec du jus de fruit. Elles vous parlent de science et de biologie toute la journée, mais profondément, elles n’en n’ont rien à foutre.

La croyance que les hommes et les femmes sont fondamentalement différents, qu’il y a des propriétés et des qualités intrinsèques au fait d’être homme ou femme, qu’on nait homme ou femme et qu’on le reste de manière inéluctable, elle est très certainement aidée par des croyances biologiques fausses, c’est vrai, mais elle peut tout à fait survivre sans elles.

Notre terrain de bataille pour les droits des personnes trans, il n’est pas seulement à l’endroit de convaincre les gens que les transitions que ça marche, dans le sens où ça améliore de manière vérifiable la qualité de vie des personnes trans, et aussi, oui, que c’est un réel processus de changement biologique dans le cas des transitions médicales. Ça reste important de le dire, mais ça ne peut pas être la seule chose que l’on dit.

Notre lutte, elle doit aussi passer par combattre cette racine des idéologies conservatrices qui consiste à croire ou à faire croire que les corps ont une nature et une raison d’être prédéterminée, parce que c’est entre autres avec cet outil de pensée-là que se construisent et se propagent ces idéologies.

J’en ai pas du tout parlé dans cette vidéo, mais c’est aussi un point central de la manière dont se construisent les violences faites aux personnes handicapées, qui, il se trouve, ont énormément de points communs avec les violences transphobes. Et ce qui s’est passé, c’est que je voulais écrire une vidéo sur ces similarités, mais rien que ce point-là tenait 20 minutes, comme vous pouvez le constater. Donc j’en ai fait une vidéo dédiée, celle-ci, et je posterai normalement plus tard une vidéo sur la manière dont le validisme construit la transphobie, où je pourrais me permettre de passer de manière un peu plus légère sur le point qu’on a développé aujourd’hui.

Outro

Merci d’avoir regardé cette vidéo jusqu’au bout.

Comme d’habitude, je vous rappelle l’existence de ma page Patreon sur laquelle vous pouvez soutenir mon travail et avoir accès à du contenu exclusif et en avant-première, et à ma boutique sur laquelle il y a notamment plusieurs livres que j’ai écrit ou auxquels j’ai participé. Il y a aussi des zines gratuits, donc surtout n’hésitez pas !

Si vous avez des questions, des remarques, des suggestions ou quoi que ce soit, je lis toujours tous les commentaires, et quand j’ai des choses à dire j’essaye d’y répondre, donc allez-y !

Sur ce, je vous souhaite une bonne fin de journée, et à tout bientôt.

Annexe

Ressources sur les stratégies conservatrices et l’idéologie TERF :

Sur l’intersexuation et les violences faites aux personnes intersexes :

« Est-ce que c’est transphobe de pas vouloir coucher avec des personnes trans ? » :

  • [EN, sous-titre anglais et français] « Are traps gay » de Contrapoints, qui réponds à la question « est-ce que c’est gay de coucher avec un femme trans (pour un homme) » et qui parle des changement sexuels liées à la transition médicale : https://www.youtube.com/watch?v=PbBzhqJK3bg

Intersexuation et lois anti-trans :

Sur la drapétomanie (le diagnostique posé aux esclaves aspirant à la liberté) :

Sur Thierry Casanovas:

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