J’ai testé les roues Dreeft !

Note : Cet article n’est pas sponsorisé.

Cette année, j’ai eu l’occasion de me rendre au salon Autonomic Paris, qui rassemble diverses entreprises et associations en lien avec le handicap : fabricants de fauteuils roulants, de véhicules adaptés, formations de chiens d’assistance, matériel d’adaptation de l’habitat, stimtoys… Et c’était très sympa !

La raison principale de ma venue était de pouvoir essayer les roues Dreeft de l’entreprise Eppur. Mais qu’est-ce que c’est ?

Les roues Dreeft

Les roues Dreeft sont des roues pour fauteuils roulant conçues par l’entreprise Eppur, toute nouvelle dans le domaine (c’est actuellement leur seul produit). Leur promesse ? Être le premier système de freinage pour fauteuil manuel.

En effet, sur des roues classiques, les seules possibilités pour freiner sont soit d’attraper les mains courantes (l’espèce de cerceau sur la roue que l’on attrape pour se pousser, et qui est traditionnellement vissée à la roue de manière fixe) pour les stopper d’un coup, soit d’utiliser ses mains comme des plaquettes de freins, et de les faire frotter sur les mains courantes pour ralentir ou s’arrêter. Vous vous en doutez, suivant la vitesse et la matière des mains courantes : ça frotte, et ça brûle.

Les mains courantes Dreeft, elles, ne sont pas fixes. Elles sont attachées à la roue par un système qui permet, lorsque l’on attrape les mains courantes pour les immobiliser, que les roues continuent de tourner en freinant progressivement. Ainsi, il n’y a pas de frottement contre les mains.

C’est quoi le problème ?

J‘ai vu des réactions diverses à cette invention de la part d’autres personnes en fauteuil roulant, certaines très enthousiastes, certaines très peu, et c’est, je pense, important de comprendre pourquoi.

Les usagèr·es de fauteuils roulants ont souvent une tendance générale à la méfiance quant aux « innovations » dans le milieu, et à raison. S’il ne s’agit pas de dire qu’aucune amélioration ne peut être faite sur les fauteuils roulants actuels (parce qu’il y a clairement de la marge), il y a souvent, de la part des entreprises, une mécompréhension des besoins des UFR. On voit par exemple fleurir tous les ans des fauteuils soi-disant miraculeux qui montent les escaliers, mais qui en pratique ne révolutionnent jamais le monde du fauteuil électrique parce que ce n’est pas une manière réaliste de se déplacer au quotidien, alors qu’il y a des solutions bien plus efficace et que tout le monde nous refuse, aka, rendre les espaces accessibles avec des rampes et des ascenseurs.

Dans le cas des mains courantes Dreeft, voilà les réactions que j’ai pu constater, et potentiellement avoir moi-même.

Deux points positifs :

  • Le besoin est réel : à titre personnel, j’ai des mains courantes avec une bande antidérapante dessus (Les Gekko de Carbolife, elles sont vraiment super !) ce qui permet de freiner et pousser avec moins d’effort, mais aussi brûle plus (vous voyez ce que ça fait de se frotter les genoux contre un sol de gymnase en plastique ? ben pareil). J’ai aussi un usage de mon fauteuil assez agressif (je vais courir avec mon chien qui est très fan d’aller très vite et de s’arrêter d’un coup, donc beaucoup d’arrêt-dérapage notamment), et une peau fragile à cause du SED, donc autant vous dire que je porte des gants 100% du temps, et qu’ils fondent littéralement sur mes roues. Ça ne nous dit pas si les mains courantes Dreeft sont une bonne solution, mais en tout cas elles adressent un vrai problème.
  • Il y a de réelles personnes handicapées dans la vidéo de présentation : à ma connaissance, personne n’est en fauteuil roulant dans l’entreprise, en tout cas pas les créateurs, et certaines interviews que j’ai pu voir contenaient des propos comme « On a vu une personne en fauteuil galérer à faire cette action-là une fois et on a trouvé ça choquant alors on a voulu aider. » ce qui est rarement bon signe en terme de faire des outils qui correspondent effectivement à un besoin réel et pas un besoin perçu par les bipèdes autour, ce qui est très différent, mais la vidéo que j’ai posté au-dessus montre bien diverses personnes en fauteuil utiliser les mains courantes, et donner leur avis dessus, et ça c’est encourageant, parce que ce n’est pas toujours le cas !

Côté points négatifs, j’ai vu certaines personnes commenter que pour elles ça ne servait à rien, personnellement je ne suis pas d’accord, et elles m’ont eu l’air minoritaire. Plus que ça, on retrouve surtout une inquiétude principale : est-ce que ces roues sont vraiment utilisables ?

Pour ce qui est de permettre un freinage doux en descente ou sur une surface plate, a priori, il n’y a pas de raison que ce ne soit pas le cas, je n’ai pas vraiment eu de doutes sur le sujet depuis le début. En revanche, l’usage des mains courantes ne se résume pas du tout à pousser et freiner, et c’est là qu’on commence à se poser des questions. Je vais du coup essayer de résumer pour vous ce que j’ai pensé de mon essai, et des actions que ces roues facilitent ou complexifient.

Roues Dreeft : le test

Alors, disclaimers d’avance : je n’ai pu les tester que dans l’enceinte de l’exposition, donc pas tellement en conditions réelles. Je me baserai sur ce que j’ai pu comprendre et ressentir du mécanisme à ce moment, de ce que l’on voit dans les vidéos, et des échanges que j’ai pu avoir avec les fabricants, mais aussi avec un usager que j’ai croisé sur place et qui utilisait ces mains courantes depuis plusieurs mois.

Les wheelies

Une des grosses inquiétudes que j’avais, et que j’ai vu partagée par un certain nombre de personnes, c’était la possibilité de faire des wheelies, c’est-à-dire à soulever les roues avant pour ne rouler que sur les roues arrière. C’est une manœuvre extrêmement importante car les roues avant sont beaucoup plus petites, et donc ne passent pas beaucoup d’obstacles. Monter sur un trottoir, éviter une plaque d’égout, rouler dans l’herbe ou le gravier… beaucoup d’activités du quotidien nécessitent de faire des wheelies, ou en tout cas sont grandement facilitées par ça.

Le principe du wheelie est simple : pousser soulève les roues, tirer baisse les roues. Mais en pratique, il faut évidemment de la précision dans ces mouvements pour trouver et garder le point d’équilibre, et puisque tout le principe des mains courantes Dreeft sont que la roue ne réagit pas immédiatement et complètement à chaque mouvement de la main courante… ça paraissait compliqué.

Bonne nouvelle : on peut faire des wheelies avec les mains courantes Dreeft !

On en voit un brièvement dans la vidéo de présentation, donc je m’en doutais, mais je peux vous confirmer ça.

Maintenant, évidemment : oui c’est plus compliqué, et moins stable.

Ce qu’il se passe dans le ressenti quand on les utilise c’est qu’il y a un espace vide. Si je pousse, ça pousse, mais si je tire les mains courantes dans l’autre sens, pendant quelques centimètres il n’y a qu’elles qui bougent, avant qu’elles se remettent à agir sur les roues qui sont alors tirées elles aussi. Et si après ça je veux pousser, alors je retraverse ce moment de vide, avant que les mains courantes agissent pour pousser les roues.

J’ai pu maintenir des wheelies quand même, mais à chaque micro-action dans un sens ou dans un autre pour ajuster le centre de gravité, il faut faire un mouvement beaucoup plus grand, et il y a une espèce d’à-coup (qui du coup peut causer le besoin de réajuster dans l’autre sens, etc.)

Ma capacité à le gérer s’est quand même pas mal améliorée rien que sur quelques minutes d’essai, donc je pense que c’est quelque chose auquel on s’habitue et on s’adapte, au moins en partie. Pour un usage « normal » : circuler dans la rue, monter sur les trottoirs, se déplacer sur des surfaces à peu près lisses et à une vitesse de marche, je pense qu’une fois habitué·e, ça ne doit pas trop poser de problème.

Pour un usage plus « tout terrain » ou « casse-cou » : faire de la distance sur deux roues, surtout sur un terrain accidenté (cailloux et racines, pavés…), faire des wheelies bien contrôlé en mouvement et à grande vitesse, faire des wheelies en continue dans les descentes (même si c’est du coup moins utile si on freine mieux), descendre des marches… j’ai plus de réserve. Je ne pense pas que le système rende ça impossible (enfin, pas tout, en tout cas), mais clairement, ce sera plus compliqué, et potentiellement plus dangereux.

Les dévers latéraux

Une autre grande inquiétude, c’était pour rouler sur des surfaces en dévers latéral (qui penchent vers la droite ou la gauche), ce qui est le cas de la majorité des trottoirs, donc c’est assez important. Dans ce cas, suivant l’intensité du dévers, il faut soit pousser plus fort d’un côté que de l’autre, soit uniquement d’un côté, soit pousser d’un côté en freinant de l’autre, ce qui nécessite donc de contrôler la puissance de poussée et de freinage.

Pour ce point, je n’ai pas pu le tester moi-même, mais j’ai pu poser la question aux membres de l’entreprise présents sur le site, qui m’ont assuré que c’était bien quelque chose qui avait été pris en compte dans les tests, et que le système permettait de contrôler le freinage, et donc étaient plutôt facilitant pour les dévers, que l’inverse. Je ne peux pas assurer que c’est vrai, mais ce que j’ai pu voir, je suis effectivement enclin à le croire !

Montées et descentes

Idem ici, je n’ai pas pu le tester moi-même, mais de tout ce que j’ai pu lire et voire, le système a tout à fait l’air de fonctionner pour les descentes.

Chose auquel je n’avais pas pensé avant, en discutant sur place avec un usager, il m’a dit que, pour lui, les roues aidaient aussi pour les montées ! Je ne suis pas complètement sûr de pourquoi, j’imagine que cela limite peut-être l’effet du fauteuil qui s’apprête à redescendre dès qu’on lâche les mains courantes pour prendre une nouvelle poussée, et je pense qu’il y a peut-être moyen de moins lâcher, voire ne pas lâcher du tout, les mains courantes en montée, suivant comment on s’organise.

A prendre avec des pincettes pour ce dernier point, parce qu’il ne s’agit que du témoignage d’une seule personne, et les besoins et capacités varient beaucoup selon les usagèr·es, et donc les bénéfices de certains outils aussi.

Motorisation

Les roues Dreeft sont compatibles avec la majorité des systèmes de motorisations.

Personnellement, je n’ai pas pu l’essayer, mais les exposants nous ont expliqué qu’elles étaient particulièrement pratiques dans le cas des motorisations type 5ème roue arrière, puisqu’elles permettent de contrôler la vitesse et la direction assez facilement, et je pense que c’est effectivement vrai.

Dans le cas des motorisations de type 3ème roue avant, c’est compatible mais ça ne sert pas à grand-chose puisque les mains sont sur le guidon et que la direction et la vitesse se gèrent déjà là.

Poids et taille

Vous pouvez retrouver l’ensemble des caractéristiques détaillées sur le site d’Eppur, mais voilà les quelques infos qui me paraissent les plus importantes :

  • Les roues font 24″, c’est la taille standard, donc peu de changement ou d’incompatibilité de ce côté-là pour la majorité des usagèr·es.
  • Le poids par roue (roue + main courante + axe, sans le pneu ni le grip amovible, puisque pour ça le poids sera similaire quel que soit le modèle de roue) est de 2,5 kg. A titre de comparaison, les roues de Küschall Starec, qui sont celles disponibles pour leurs fauteuils sans supplément de prix + mains courantes standards font 2,1 kg, et en payant pour des roues plus haute-gamme comme les Spinergy LX, on peut descendre à 1,8 kg, voire moins. Ce sont donc des roues plus lourdes, forcément, puisqu’il y a un mécanisme supplémentaire, surtout si vous êtes habitué·es à des roues haute-gamme, mais pas de manière insurmontable comparées à des roues standard non plus.
  • Les roues font 87 mm de large, ce qui est assez standard. La fixation pour les roues peut en revanche rajouter 10 mm de chaque côté suivant les modèles.
  • Le poids maximum utilisateur est de 100 kg, ce qui pour moi est quand même un défaut notable. Ce n’est pas unique, le Ventus d’Ottobock par exemple a la même limite (mais il a une version alternative qui soutient jusqu’à 140 kg) ou le KSL de Küschall également, donc il ne s’agit pas de dire que c’est une limite hors-standard pour un fauteuil manuel. Mais cette limite exclut clairement un certain nombre d’utilisateur·ices et, bien que normalement les roues puissent donc tout à fait résister à un usage « normal » avec des utilisateurices de moins de 100 kg, en tant que personne qui inflige pas mal de choc à mon fauteuil, notamment à mes essieux en descendant des marches ou autre, c’est aussi un indicateur de solidité pour moi. Sur leur site, Eppur indique néanmoins vouloir faire retester les roues pour augmenter le poids maximum à 120 kg. Affaire à suivre.

Prix

Les roues Dreeft (mains courantes, pneus et grips compris) coûtent 1990€ la paire. A titre de comparaison, pour une configuration similaire sur des Spinergy LX (qui font du coup 700 g de moins chacune) on est aux alentours de 1100€. C’est donc un investissement financier considérable.

Actuellement, aucun remboursement sécurité sociale n’est possible. Cependant, Eppur a déjà commencé le processus pour demander à être homologué pour être remboursé dans le futur, donc peut-être d’ici quelques années. Si cela arrive, il n’est pas non plus certain que le remboursement couvre la totalité du prix, mais on verra.

Il est en théorie possible de demander un financement MDPH via la PCH, mais je ne sais pas si cela a déjà été accordé en pratique, et quel montant le financement peut représenter. (Si quelqu’un passe par ici en ayant eu cette expérience, laissez-moi un petit commentaire pour me dire !)

Conclusion

Pour moi il y a trois points à retenir sur les mains courantes Dreeft :

  • Elles font ce qu’elles promettent de faire : Pas tellement de question sur ce sujet depuis le début, ça promet de freiner et de faciliter les descentes, et ça freine.
  • Elles complexifient certaines manipulations du quotidien, mais dans une mesure raisonnable : les wheelies notamment sont plus difficiles et instables, mais restent possibles, et probablement suffisamment faisables pour des manœuvres « basiques ».
  • Elles ne sont peut-être pas adaptées à un usage plus complexe : il reste possible de faire beaucoup de choses, mais la précision des wheelies notamment sera sûrement un problème pour les personnes avec un usage plus intense et complexe du fauteuil roulant, qui nécessite plus de manœuvrabilité et de contrôle.

Ma conclusion personnelle sur qui sont les usagèr·es pour qui ce système est adapté :

  • Les personnes avec un usage quotidien qui veulent se simplifier la vie : si vous ne faites pas ne manœuvres complexes avec votre fauteuil (descendre des marches, se promener sur des chemins accidentés sans troisième roue…) et que vous êtes prêt·e à sacrifier un peu de qualité de wheelie pour simplifier le freinage dans les pentes et les dévers, c’est adapté !
  • Les personnes avec des difficultés de préhension : si votre handicap impact votre capacité à utiliser les mains courantes (je pense notamment : paralysie dans les mains, faiblesse musculaire autre, amputation…) il est probable que le gain soit plus grand, et donc vaille plus le coût. Cela est d’autant plus vrai si ces difficultés rendent déjà les manœuvres plus complexes inaccessibles, puisqu’il y a moins à perdre. Par contre, si ces manœuvres sont actuellement faisables pour vous avec difficulté, il n’est pas impossible pour moi qu’elles soient perdues à cause de la difficulté supplémentaire. A tester !
  • Pas pour les personnes avec un usage intense et sans difficulté de préhension : en revanche, si vous avez beaucoup recours à des manœuvres qui seront complexifiées par le système, sans un besoin particulier pour ce qu’il facilite, pour moi ça ne vaut pas forcément le coût.

Comme souvent quand on parle d’options et de réglages de fauteuil roulant, il est important de se souvenir qu’il n’y a pas un bon réglage universel. La majorité des adaptations et options viennent avec leurs avantages (ici : freinage plus simple, protection des mains et des épaules dans le freinage…) et leurs inconvénients (ici : poids, perte de stabilité sur les wheelies…). Je ne pense pas pouvoir dire : « Les roues Dreeft sont une amélioration absolue, n’importe quel·le usagèr·re sera mieux avec que sans. » Par contre, elles peuvent clairement représenter une amélioration pour certain·es usagèr·es.

Il s’agit encore une fois d’évaluer, pour chaque personne, ses priorités, ses capacités et ses besoins, et de déterminer quels sont les paramètres importants ou sacrifiables pour vous ! Et bien sûr, cela évolue aussi avec la vie. Personnellement, je ne pense pas que ces roues soient adaptées à mon usage du fauteuil et à mes besoins, mais dans 20 ans et avec des épaules qui ne seront plus ce qu’elles sont aujourd’hui, mes priorités seront peut-être différentes.

Voilà mon retour d’expérience perso, si vous avez des questions ou des témoignages propres, n’hésitez pas dans les commentaires !

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