« AFAB », « Personne à pénis » : quand le vocabulaire « inclusif » devient transphobe

Cet article est une retranscription de cette vidéo :


Bonjour et bienvenue sur ma chaîne, c’est Alistair, et aujourd’hui on va parler de transidentité. Ou plus précisément, on va parler de comment parler de transidentité, parce que… Oh Boy ! Il y a du travail.

Introduction

Si vous ne me connaissez pas, bienvenue, je m’appelle Alistair, je suis un homme trans, et entre autres choses sur cette chaîne je parle de transidentité.

Personnellement, je ne suis pas forcément très fan des débats sur quels sont les « bons » et les « mauvais » mots à utiliser pour parler de tel ou tel sujet. Je pense que ce qui est important c’est surtout ce qu’on dit et comment on traite les gens, et à mon avis on peut tout à fait dire des choses respectueuses sur les personnes trans en disant « transformation » au lieu de « transition », même si c’est pas le bon terme, ou en disant « transsexuel·le » plutôt que « trans » ou « transgenre » même si plein de gens n’aiment pas ce mot (ce qui au passage n’est pas mon cas). Et à l’inverse, on va en parler dans cette vidéo, on peut absolument dire des choses transphobes tout en utilisant des mots qui sont bien vus et pas considérés comme insultants ou inadaptés.

C’est aussi pour ça par exemple que même si je fais plein de vidéos qui parlent de handicap je n’ai jamais parlé du débat de : « Est-ce qu’il faut dire ‘une personne en situation de handicap’ ou ‘une personne handicapée’ ? » parce que je m’en fous en fait. La question c’est qu’est-ce qu’on met derrière, et ça peut être du bon ou du mauvais avec les mêmes mots.

Et c’est exactement de ça dont je veux parler aujourd’hui. Du fait que, souvent, les personnes qui se veulent plus ou moins inclusives des personnes trans vont modifier leur langage pour utiliser « les bons mots » et penser que ça suffit alors que les idées qu’il y a derrière restent transphobes en général, et transmisogynes en particulier.

« Alistair on comprend rien ce que tu dis, donne des exemples concrets ! »

J’arrive.

Partie 1 : AFAB, AMAB, et la socialisation genrée

Un des domaines de discussion dans lequel on rencontre ce genre d’enjeux, ça va être tout ce qui est de l’ordre de la socialisation et des expériences de vie.

Par exemple, quand on parle de harcèlement de rue, on va souvent dire « les femmes » et considérer qu’il s’agit d’un vécu social genré féminin.

Bien sûr, le fait que ce sont majoritairement des femmes qui vivent du harcèlement de rue, et à fortiori du harcèlement sexuel, c’est vrai. Ce qui va gêner dans cette manière d’en parler, c’est que le vécu du harcèlement de rue est aussi partagé par un certain nombre de personnes qui ne sont pas des femmes : notamment des personnes non binaires et des hommes trans. Et du coup, du point de vue de certaines de ces personnes, le fait de dire « les femmes » ou de considérer que c’est un vécu féminin est excluant de cette réalité-là, ce que je peux tout à fait comprendre.

Le problème, c’est quand la solution proposée c’est de dire « personnes AFAB » au lieu de « femme ».

« AFAB » et son pendant inverse « AMAB », ce sont les acronymes pour l’anglais « Assigned Female At Birth » et « Assigned Male At Birth », soit en français : « assigné·e fille à la naissance » et « assigné·e garçon à la naissance ».

Ce sont des termes qui servent à parler du fait que, quand un bébé naît, on va lui assigner un genre, féminin ou masculin, généralement sur la base de ses organes génitaux, et ça ne veut pas forcément dire que l’enfant va effectivement s’identifier à ce genre-là en grandissant, et être une fille ou un garçon.

Plutôt que de dire : « Ce bébé est une fille. » on peut dire : « Ce bébé a été assigné fille. » et ça permet de visibiliser que ce genre « fille » n’est pas inné et intrinsèque et forcément juste, mais que c’est juste celui qu’on a décidé pour l’enfant pour l’instant.

Certaines personnes trans aiment bien ces termes parce que c’est des termes qui permettent de parler de leur passé sans avoir dire « J’étais une fille. » ou « J’étais un garçon. », ce qui pas forcément la manière dont elles vivent la chose.

Une autre population par laquelle ces termes sont utilisés, ce sont les personnes intersexes. (Il est d’ailleurs tout à fait possible que ce soit la communauté intersexe qui ait inventé ces termes-là à la base, mais comme je suis pas tout à fait sûr je ne vais rien affirmer.)

Quoi qu’il en soit, les personnes intersexes sont des personnes qui ne rentrent pas dans les cases classiques « mâles » et « femelle » et du coup, dans les cas où l’intersexuation est visible à la naissance, les médecins qui font l’assignation ne considèrent pas forcément que ces bébés sont effectivement des filles ou des garçons, sont effectivement mâles ou femelles, mais vont quand même choisir un des deux genres binaires à imposer à l’enfant, socialement mais aussi souvent médicalement, avec des traitements forcés et des mutilations qui visent à rendre le bébé le plus conforme possible au sexe qui lui a été assigné et qu’il n’est biologiquement pas.

Ici, le fait de parler d’assignation de genre et de sexe est d’autant plus légitime et important parce que cette assignation est d’autant plus contrainte et violente.

Moi, fondamentalement, j’ai pas de problème avec le fait de parler d’assignation de genre. Oui on assigne un genre et un sexe aux bébés. À tous les bébés, et a fortiori aux bébés intersexes. Et, oui, ça peut être utile de nommer ça.

Le problème, c’est que ces termes sont beaucoup utilisés pour plein de choses qui ne sont pas l’assignation à la naissance, et c’est exactement ce qui se passe dans l’exemple que je donnais du harcèlement de rue.

Le harcèlement de rue ne vise pas les personnes qui ont été assignées femmes à la naissance. Personne ne vous demande votre acte de naissance pour vous siffler dans la rue, ce n’est pas ça le critère.

Et faire le raccourci que le harcèlement de rue vise les personnes AFAB ce n’est pas moins excluant des personnes trans, au contraire, puisque ça exclut directement les femmes trans qui, bien sûr, sont éminemment victimes de harcèlement de rue, potentiellement même plus que les femmes cis, les hommes trans, ou les personnes non binaires.

Remplacer « hommes » et « femmes » par « AMAB » et « AFAB » quand on parle d’expériences de vie et d’expériences sociales, c’est prétendre que les femmes cis et les hommes trans appartiennent à un même groupe genré dans la société et que les femmes trans et les hommes cis appartiennent à un même groupe genré dans la société, et ce n’est bien sûr pas vrai.

L’assignation de genre et le fait que les gens interagissent avec nous de manière genrée, ce n’est pas quelque chose qui se fait au moment de la naissance et se fige à partir de là. On n’est pas assigné·e fille ou garçon à la naissance et du coup traité·e et perçu·e comme une fille ou un garçon toute notre vie. C’est bien tout le principe de la transition d’ailleurs.

On est assigné·e fille ou garçon à la naissance et à chaque moment de notre vie notre genre continue d’être évalué et jugé par les gens autour de nous et ils continuent de nous traiter de manières diverses en fonction de ça. En quelque sorte, notre genre nous est continuellement assigné à nouveau toute notre vie dans toutes nos interactions, et cette assignation évolue avec nous, et notre environnement, et notre présentation de genre etc.

Mon genre a été perçu et traité différemment quand j’avais 1 mois, et quand j’avais 3 ans, et quand j’en avais 15, et 20, et 25. Parfois j’étais perçu comme une femme, parfois comme un homme, parfois les deux, parfois aucun des deux, et surtout, il y a plein de manières d’être perçu·e comme une femme ou un homme. Et la manière dont j’ai été perçu comme une fille quand j’étais enfant n’est pas la même que la manière dont ma sœur cis a été perçue comme une fille au même âge par exemple.

J’ai des expériences genrées de vie en commun avec les autres hommes trans, bien sûr, j’en ai avec les femmes cis, sur plein de points, j’en ai avec les femmes trans sur plein d’autres, et j’ai aussi des expériences de vie en commun avec les hommes cis sur plein d’autres éléments.

Je n’ai pas une « expérience de vie AFAB » parce que je ne partage pas particulièrement plus d’expériences genrées avec les personnes AFAB et moins d’expériences genrées avec les personnes AMAB.

De la même manière, les femmes trans n’ont pas une expérience de vie AMAB. La manière dont leur genre a été perçu et traité n’est pas celui des hommes cis, que ce soit avant, pendant, ou après leur transition. Et plein d’entre elles partagent des expériences de vie spécifiques que les hommes cis et a fortiori les hommes cis hétéros ne partagent pas, et que, dans un certain nombre de cas, les femmes cis et les hommes trans partagent.

Les expériences genrées de chacun et de chacune ne sont pas réparties dans un bloc « AFAB » d’un côté et dans un bloc « AMAB » de l’autre. On a plein d’expériences en commun avec les deux côtés, quelle que soit notre assignation.

On pourrait par exemple dire à la place que le harcèlement de rue est une violence genrée. Ce qui est vrai, et qui inclut beaucoup plus de dynamiques différentes : celle la plus évidente de la misogynie, exercée en général par des hommes sur des femmes, mais aussi d’autres violences genrées, comme celles vécues par les personnes queer, dont les personnes non-binaires, dont les hommes trans, dont les femmes trans bien sûr, même si elles étaient déjà inclues dans le concept de violence faite aux femmes, et aussi dont plein d’hommes cis queer qui ne sont pas particulièrement en reste dans la catégorie « groupe de personnes victimes de violences genrées dans l’espace public » et qu’on a un petit peu tendance à oublier dans ces discussions.

Pour faire une conclusion plus générale à cette question de la socialisation genrée, je pense que, pour moi, les deux grandes choses à retenir sont que :

  1. La socialisation genrée est quelque chose de constant et de fluide, dont on fait l’expérience toute notre vie, pas juste au début, et que c’est en perpétuel changement.
  2. Qu’il y a plein de manières d’être perçu·e et d’être traité·e comme une femme ou comme un homme.

Ce que je veux dire par là, c’est que penser la socialisation genrée en termes de « Il y a des gens socialisés comme des femmes. » et « Il y a des gens socialisés comme des hommes » c’est faux.

D’une part parce que beaucoup d’entre nous, trans ou pas, vont être perçu·es comme des hommes ou comme des femmes ou comme autre chose à différents moments de notre vie.

Et d’autre part parce que, même sans ça, « être perçu·e et traité·e comme une femme » ou « être perçu·e et traité·e comme un homme » ça veut pas dire grand-chose. Parce que ce n’est pas du tout la même chose d’être traité·e comme une petite fille, ou une jeune femme, ou une femme adulte, ou une femme âgée. C’est pas la même chose d’être traité comme une femme cis ou comme une femme trans, comme une femme hétéro ou comme une femme lesbienne ou bi ou ace. C’est pas la même chose d’être traité comme une femme blanche ou noire ou arabe, comme une femme valide ou handicapée, comme une femme mince ou une femme grosse, etc. etc. etc.

La socialisation genrée est beaucoup plus complexe et beaucoup plus diverse que « traité·e comme une femme » versus « traité·e comme un homme », a fortiori quand on parle de personne queer. Et on ne peut pas résumer les expériences genrées de toute une vie de toute une personne par simplement quel genre on lui a assigné à la naissance. Et cela est d’autant plus vrai dans le cas des personnes trans, puisque, par définition, elles ne correspondent même pas à cette assignation.

Partie 2 : Pénis, utérus, et la sexuation des corps

Le saviez-vous ? J’ai un Patreon. Je vous dis ça juste au cas où que d’avoir dit le mot « pénis » démonétise cette vidéo. On ne sait jamais.

Bref !

Un autre domaine dans lequel on parle beaucoup de s’il faut changer le langage pour inclure les personnes trans, c’est celui des corps, et notamment dans le cadre médical.

Par exemple, on va entendre de plus en plus de choses comme : « L’endométriose concerne 1 personne menstruée sur 10. » au lieu de : « L’endométriose concerne 1 femme sur 10. »

Sur le principe, je pense que ne pas dire « homme » et « femme » pour parler d’un certain type de corps ou d’un certain type de besoin médical, c’est une très bonne idée. D’une part c’est important pour inclure les personnes trans (et par là je veux dire : pour que les personnes trans se sentent incluses, mais aussi pour que les médecins soit plus préparé·es à faire des choses comme des frottis sur des hommes par exemple) mais d’autre part, c’est aussi plus généralement important pour déconstruire l’idée que les corps des hommes et des femmes sont fondamentalement différents et que leurs besoins médicaux sont complètement séparés, alors que, dans beaucoup de cas, pas autant que ce qu’on pourrait croire.

J’ai d’ailleurs une vidéo là-dessus.

Et je pense que, effectivement, une bonne solution pour faire ça, c’est de tout simplement nommer les réels facteurs de risque dont on parle, les réels organes dont on parle, etc., au lieu de dire « femme » ou « homme » pour raccourcir. Le problème c’est que ce n’est souvent pas exactement ce qu’il se passe, à moitié à cause de la transphobie, à moitié parce que la biologie c’est compliqué.

Pour reprendre l’exemple de l’endométriose, je suis moi-même un homme trans avec l’endométriose donc je comprends un petit peu le problème de dire que l’endométriose est une maladie de femme. J’entends qu’instinctivement on puisse se dire : « C’est pas une maladie qui touche spécifiquement les femmes, ça touche aussi les hommes trans et les personnes non-binaires, du coup on va dire ‘personnes menstruées’ parce que c’est ça la question. »

Sauf que c’est pas ça la question.

Ça dépend un peu de comment on définit « menstruation », mais globalement on peut avoir l’endométriose sans menstruation. On peut avoir l’endométriose sans saignement menstruel. On peut avoir l’endométriose sans utérus. On peut avoir l’endométriose en étant sous thérapie hormonale et donc pas forcément avec des cycles hormonaux, ou pas les mêmes que des cycles naturels.

Personnellement, je n’ai plus mes règles depuis un moment, j’ai un système endocrinien qui fonctionne principalement avec de la testostérone, j’ai aucun symptôme cyclique qui pourrait faire penser à un cycle menstruel, et j’ai quand même passé 24 heures plié en deux de douleur dans mon lit sous codéine le mois dernier.

Plus intéressant, on a plusieurs cas documentés d’hommes cis qui ont eu l’endométriose, notamment lors de traitements hormonaux liés à des cancers. Donc je n’ai malheureusement pas trouvé d’études sur l’endométriose chez les femmes trans, mais toutes les données disponibles poussent à croire qu’il est tout à fait possible pour des femmes trans d’avoir l’endométriose, et que ce n’est même pas dit que ce soit par particulièrement rare.

Par ailleurs, encore une fois, suivant comment on définit le concept de menstruation, on peut tout à fait arguer que certaines femmes trans ont des menstruations, ont des cycles menstruels. Mais elles sont rarement incluses quand on dit « les personnes menstruées », on y reviendra après.

Pour moi, ça, c’est un très bon exemple et du fait que, dans plein de cas, on ne comprend pas forcément assez les mécanismes d’une maladie donnée pour pouvoir délimiter clairement la population touchées, et du fait qu’on a aussi un manque de données et de prise en compte de comment les maladies genrées peuvent toucher les personnes trans, parce qu’on va présumer que finalement elles doivent fonctionner plus ou moins comme les personnes cis du même genre assigné, et donc ne pas être concernées par les maladies « de l’autre genre ».

Si on veut donner un exemple dans l’autre sens, on n’a pas non plus de données sur le cancer de la prostate chez les hommes trans, alors qu’on sait que, dans beaucoup de cas sinon tous, la prise de testostérone amène à l’apparition de tissu prostatique dans le corps.

Mon propos ici, ce n’est pas de m’opposer aux termes comme « personnes menstruées ». Si on parle effectivement de menstruation, ça peut être utile dans certains contextes, et ce n’est pas offensant en soi.

Le problème c’est que, bien souvent, ce n’est en fait pas de ça dont on parle. On utilise « personnes menstruées » comme raccourci pour décrire un type de corps qui implique plein d’autres choses qui ne sont pas forcément présentes quand on a des menstruations, et à l’inverse dans plein de cas pour parler de choses qui concernent aussi des personnes qui n’ont pas de menstruation.

Typiquement, dans le cas de l’endométriose, on utilise « personnes menstruées » comme un raccourci pour l’ensemble des paramètres qui peuvent amener à développer de l’endométriose, mais ces paramètres ne se résument pas à la menstruation, et la menstruation n’est pas un paramètre obligatoire pour pouvoir développer l’endométriose.

Dire que l’endométriose est une maladie qui touche uniquement les femmes et dire que l’endométriose est une maladie qui touche uniquement les personnes menstruées, dans les deux cas c’est inadapté. Et ce n’est pas une question de politiquement correcte ou de ne pas vouloir offenser les gens, ce ne sont juste pas les bons termes.

Et la raison pour laquelle on continue de présumer que ça l’est, c’est qu’on s’imagine que les hommes trans et les personnes transmasculines ont plus ou moins un corps de femme seront concernés par les maladies féminines et pas masculines, et que les femmes trans et les personnes transféminines ont plus ou moins un corps d’homme et seront concernées par les maladies masculines et pas féminines.

Et c’est comme ça qu’on se retrouve avec des médecins comme l’autre gynécologue qui avait refusé d’accueillir une femme trans dans son cabinet alors qu’elle venait pour un suivi mammaire, parce que ben… elle a des seins. Et donc elle a besoin d’un suivi médical pour ça.

Mais comme la société et la médecine continuent de catégoriser les femmes trans comme un espèce de sous-genre d’homme elles considèrent que les femmes trans ne vont pas être concernées par des besoins médicaux « de femme », alors que c’est bien évidemment le cas. Et pareil dans l’autre sens pour les hommes trans.

Partie 3 : Ne rien dire du tout, c’est aussi une option

Bon.

Maintenant que j’ai bien râlé sur les manières de parler des corps et des expériences trans que je trouve inadaptées, se pose quand même la question de : « Et du coup, on dit quoi à la place ? »

Comme je le disais plus haut, si c’est bien fait, le fait de nommer réellement ce dont on parle, c’est une option. « Si vous avez de la poitrine vous devriez faire tel test de dépistage tous les 5 ans. » par exemple, c’est tout à fait ok à partir du moment où « avoir de la poitrine » c’est bien effectivement le critère et pas un raccourci pour autre chose.

Spécifiquement les termes de AFAB et AMAB, personnellement je conseillerais de quand même ne jamais les utiliser parce que même s’ils ne sont pas problématiques en eux-mêmes, à moins que le sujet de la discussion ce soit vraiment la naissance et l’assignation à ce moment-là, ils sont quasiment toujours utilisés pour dire quelque chose d’autre que ce qu’ils veulent dire, et pour extrapoler ce à quoi la vie et le corps d’une personne devrait être sur la base de son assignation à la naissance, et c’est toujours transphobe et intersexophobe.

AFAB et AMAB, ça veut dire : « Au moment de ta naissance, on t’a assigné·e fille ou garçon. » Point. Ça ne décrit pas ton corps. Ça ne décrit pas ta vie. Ça ne décrit pas ton enfance. Ça ne décrit pas ta socialisation. C’est un événement ponctuel qui t’est arrivé il y a longtemps. C’est tout.

Mais à part ça, on a le droit de nommer ce dont on parle. Cela dit, dans plein de cas, je pense que c’est aussi une bonne idée de se demander si c’est utile.

Un exemple qui m’a amené à parler de ce sujet sur Twitter dans le passé (les liens seront dans la description) c’était une polémique sur la pilule du lendemain sur le fait que les gens en utilisent trop ou je sais pas trop quelle polémique conservatrice à la con, et donc plusieurs militantes féministes notamment avaient, à juste titre, fait des rappels sur l’usage de la pilule du lendemain, et notamment sur le fait qu’il y a pas un nombre limite d’usage de la pilule du lendemain. On peut l’utiliser autant de fois qu’on en a besoin.

Ce message il est très bien, et il est nécessaire. Le problème, c’est que plusieurs d’entre elles, je suppose pour essayer d’être inclusives des personnes trans, formulaient leur message en disant : « Pour les personnes qui ont un utérus, je vous rappelle que la pilule du lendemain peut s’utiliser aussi souvent que vous en avez besoin. »

Pourquoi ??

Est-ce que c’est vraiment plus clair que : « La pilule du lendemain peut s’utiliser aussi souvent que vous en avez besoin. » ? Est-ce qu’on avait besoin de commencer cette phrase par « pour les personnes avec un utérus » pour bien comprendre le propos ? Je ne pense pas.

Et encore une fois c’est approximatif, parce que l’enjeu ce n’est pas d’avoir un utérus, c’est de pouvoir tomber enceinte, ce qui n’est pas synonyme.

On a souvent ça avec les produits d’hygiène menstruelle aussi. Des tweets comme : « Pour les personnes menstruées, en ce moment pour info les culotte de règles de telle marque sont en soldes. »

Oui ben si tu parles de culotte de règles, on se doute bien que c’est pour les gens qui ont leurs règles, c’est pas la peine de doubler la longueur de ta phrase pour nous dire ça.

Pour les sextoys aussi. « Ce jouet est pour les personnes à vulves. » « Ce jouet est pour les personnes à pénis. » Ou sinon tu peux juste nous dire ce qu’il fait, et chacun évalue si ça peut marcher avec son anatomie ou pas en fait.

Personne ne dit « pour les personnes qui ont des pieds » avant de parler de chaussures parce qu’on sait tous que si tu parles de chaussures, le propos intéressera les gens qui sont susceptibles de porter ou d’apprécier les chaussures. Bah c’est pareil pour les tampons.

Si vous voulez parler de tampon, vous avez pas besoin de dire : « pour les personnes menstruées. » Soit vous parlez à une audience qui sait ce que c’est un tampon et elle comprendra très bien ce que vous avez à dire sans ça, soit vous parlez à une audience qui ne sait peut-être pas ce qui est un tampon (ce qui arrive et c’est tout à fait ok) mais dans ce cas-là il faudra sûrement expliquer ce qu’est un tampon, après quoi on se retrouve dans la situation précédente où votre audience sait désormais ce qu’est un tampon et peut tout à fait comprendre ce que vous êtes en train de dire.

Dans la grande majorité des cas, on peut simplement parler de ce dont on veut parler sans avoir à nommer spécifiquement à quelle catégorie de personnes cela s’adresse, et ça ne rend pas le propos moins clair. Et généralement c’est plus inclusif, parce que les personnes sont complexes et variées, et qu’essayez de délimiter en quelques mots qui est ou n’est pas concerné·e par les informations ou les outils que vous partagez va quasiment forcément exclure une partie des personnes qui auraient pu ou dû être inclues dans votre message.

Typiquement dire « pour les personnes menstruées » avant de parler de culottes de règles, non seulement c’est complètement inutile, mais en plus ça exclut aussi les personnes qui pourraient bénéficier de l’usage de culottes de règles pour des raisons qui ne sont pas les règles.

Cette idée qu’il faut forcément trier les corps et les personnes dans des catégories sexuées ou genré pour pouvoir en parler, ou pour pouvoir les soigner notamment, elle est éminemment sexiste, et elle est ce qui crée directement l’exclusion et les violences faites aux personnes trans et aux personnes intersexe.

L’objectif, ce n’est pas de créer des nouvelles catégories de genre et de sexe pour pouvoir ranger les gens à l’intérieur, c’est juste de ne pas le faire si on en a pas le besoin.

Conclusion

Le schéma qui se répète dans tous les exemples que j’ai donné dans cette vidéo c’est, comme je le disais sur la fin, la volonté de continuer à créer une catégorisation genrée et sexuée des corps et des personnes.

On se dit « Femme et homme c’est problématique. » et on remplace par « personne AFAB et personne AMAB » ou par « personne à vulve et personne à pénis » pour prétendre être inclusif des personnes trans, alors qu’au final ce que l’on fait c’est continuer à considérer qu’il y a deux groupes sexués : celui des femmes cis et des hommes trans, et celui des hommes cis et des femmes trans, et ce n’est pas moins transphobe. C’est dire exactement la même chose mais sous une appellation différente.

Le problème dans le fait de considérer que les hommes trans sont des femmes et les femmes trans sont des hommes, ou au moins qu’ils appartiennent quand même plus ou moins malgré tout au même groupe, ce n’est pas juste que c’est du mégenrage et que c’est blessant (même si aussi ça), c’est surtout que c’est faux. Socialement et biologiquement.

On ne peut pas inclure les personnes trans tant que l’on continue à considérer que les hommes trans sont socialement et/ou biologiquement des femmes, et que les femmes trans sont socialement et/ou biologiquement des hommes, parce que ce n’est pas le cas. Et bien souvent c’est ce que ce langage cherche à faire, même quand il ne le dit pas explicitement.

Typiquement quand quelqu’un dit « personne a vagin », en dehors du fait que la formulation est plutôt bizarre et gênante, très souvent ce que cette personne essaie de dire ce n’est pas « le groupe des personnes qui ont un vagin » c’est « le groupe des femmes cis et des hommes trans » en ignorant complètement que plein de femmes trans ont des vagins, et que plein d’hommes trans et même de femmes cis n’en n’ont pas.

Ce n’est pas une réelle démarche pour changer ce dont on parle, c’est juste un changement cosmétique de surface sur comment on le nomme.

On ne peut pas inclure les personnes trans sans changer la manière dont on pense les questions de genre et de sexe et de corps et de médecine, et pas juste en changeant la manière dont on en parle.

C’est aussi d’ailleurs un des 1000 points sur lesquels la transidentité et le handicap ont beaucoup de similitudes. J’ai déjà écrit des choses là-dessus qui seront dans la description si ça vous intéresse, mais il faut vraiment se libérer de l’idée que pour répondre aux besoins des personnes il faut d’abord classifier ce besoin.

On peut répondre aux besoins des gens sans avoir à dire « Ça c’est un besoin de femme. » « Ça c’est un besoin de personne autiste. » « Ça c’est un besoin de personne en fauteuil roulant. » et du coup en conditionnant l’accès aux aides et aux soins au fait de bien rentrer dans cette catégorie.

On peut répondre aux besoins, notamment médicaux, des personnes en acceptant leur complexité et leur diversité, sans dire : « Ah mais pour recevoir cette aide médicale-là il faut appartenir à tel groupe précis ou avoir tel diagnostic. »

On peut soutenir les personnes qui ont l’endométriose et chercher des manières de les soulager sans considérer qu’elles doivent être des femmes, ou des personnes menstruées, ou AFAB, ou avoir un utérus. Et on le fera probablement même mieux comme ça.

On peut faire de la recherche et du dépistage sur le cancer de la prostate sans considérer que les personnes visées doivent forcément être des hommes, ou avoir un pénis, ou être AMAB. Et on le fera même mieux comme ça.

On peut changer la manière dont on pense le genre et le sexe, et offrir des soins adaptés aux personnes qui en ont besoin. Et on le fera même mieux comme ça.

Outro

Voilà pour aujourd’hui.

Avant de vous quitter, je tiens à vous rappeler l’existence de ma page Patreon sur laquelle il y a du contenu en avant-première et du contenu exclusif, dont du contenu gratuit. Le lien est dans la description. Ainsi que de l’existence de ma boutique où j’ai tout un tas de stickers, et quelques bouquins, et j’ai très récemment créé des nouveaux pins « Autistes de niveau moyen-bof » qu’on m’a demandé de refaire depuis plusieurs années, donc ils sont arrivés maintenant ! La boutique et Patreon moi c’est grâce à ça que je vis et que je paye mon loyer, donc merci à toutes les personnes qui me soutiennent.

Si vous avez des questions, n’hésitez pas dans les commentaires, je les lis tous.

Sur ce, je vous souhaite une bonne fin de journée, et à la prochaine !

Ressources

Pour aller plus loin :

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